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Stendhal, l’observation du moi, Jacquemont, la recherche scientifique, Mérimée, l’étude de l’histoire et des civilisations étrangères. Évidemment, là étaient l’avenir et le salut.


II

Un jour, sur l’invitation de Delécluze, Mérimée apporta à la réunion du dimanche un drame qu’il avait composé d’après les doctrines de Beyle. Il en donna lecture devant sept ou huit personnes. Ce qui étonna d’abord les auditeurs, ce fut le débit du dramaturge de vingt ans. C’était alors l’usage des auteurs de « faire valoir » leurs œuvres en imitant la déclamation du théâtre. Ils changeaient d’accent et d’intonation avec les situations et les personnages, enflant leur voix et la laissant mourir comme s’ils eussent éprouvé et voulu inspirer toutes les émotions dont ils pensaient que leur drame était plein. Mérimée lut tout d’une même voix, gutturale, dure, monotone, — de cette même voix, apparemment, dont je lui entendis lire Lokis, quarante-cinq ans plus tard, à Saint-Cloud. Il articulait nettement, s’arrêtait aux virgules pour reprendre haleine, disait des choses épouvantables sans paraître s’en soucier, comme un greffier qui relit un procès-verbal.

Cromwell était le héros de la pièce, qui empruntait ses côtés tragiques à l’histoire, son comique au jargon puritain. Plus d’unités d’aucune sorte ; la scène changeait à chaque instant ; l’action se multipliait en mille complications. Dans tout cela, on se perdait un peu. Le dialogue était vif et naturel, et quelques scènes frappèrent par leur énergie, mais l’impression totale fut une sorte de désappointement : du moins c’est ainsi qu’en jugea Delécluze. Pour les jeunes gens, la question d’école dominait tout. Ils étaient décidés à applaudir et ils applaudirent. Beyle cria plus haut que les autres. Le drame ne fut pas imprimé, mais la lecture fit du bruit et donna une sorte de retentissement aux modestes dimanches de Delécluze. Que valait cette œuvre de début ? Qui avait raison, des scrupules et des étonnemens d’Étienne ou des clameurs laudatives de Beyle ? Nous n’en pourrons jamais juger. Mais Mérimée a, du moins, le mérite de la priorité. Son Cromwell est l’aîné des drames historiques de Hugo et de Dumas ; il a précédé de quatre ans les États de Blois, de Vitet. Charles de Rémusat qui cherchait, lui aussi, dans la même direction, ne lut son Insurrection de Saint-Domingue, dans le salon du directeur du Globe, qu’après l’audition de Cromwell par les habitués du dimanche.

Peu de temps après, Mérimée, qui n’avait pas encore vingt-deux ans, lisait, dans la chambre d’Étienne Delécluze, le drame intitulé les Espagnols en Danemark et le Ciel et l’enfer, petite