Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Le grand-père de l’écrivain, après avoir été avocat au parlement de Normandie, était devenu l’intendant du maréchal de Broglie. On montrait encore, à Broglie, vers le commencement de ce siècle, « l’appartement de Mérimée. » C’est là que naquit Jean-François-Léonor, qui fut peintre. Il traversa l’atelier de David pour se faire ensuite l’élève de Vincent. Il manqua le prix de Rome en 1788, mais se dédommagea par quelques succès obtenus aux expositions de 1790 à 1800. On remarqua surtout les Voyageurs découvrant dans une forêt le squelette de Milon de Crotone, et une Innocence nourrissant un serpent. Cette Innocence, gravée par Bervic, paraît avoir été son chef-d’œuvre. Il ne s’en dessaisit point, ni son fils après lui. Elle ornait encore la chambre à coucher de Prosper Mérimée lorsque l’incendie allumé par les insurgés de la Commune détruisit, avec la maison, l’appartement et tout ce qu’il contenait, le 26 mai 1870.

Léonor Mérimée avait-il voulu montrer, en retournant la scène de la Genèse, la femme perdue par la pitié bien plus que par l’orgueil, ou l’éternelle fascination que le Vice et la Pureté exercent l’un sur l’autre ? Y avait-il là-dessous une philosophie diabolique, une pointe de sadisme latent, ou simplement l’allégorisme un peu forcé, dont ce temps faisait ses délices, entre une bataille et un échafaud ? Quoi qu’il en soit, le sujet plut par sa bizarrerie et par une sorte de préciosité naïve dans l’exécution.

Il ne semble pas que l’auteur ait retrouvé, une autre fois, le même succès. On peut voir de lui un portrait du Poussin placé au-dessus de la cheminée, dans la salle du conseil, à l’École des Beaux-Arts et un pan de mur dans la galerie des Antiques, au Louvre : Hippolyte rappelé à la vie par Esculape, composition très froide, qui sent la fin d’un talent et d’une école. En somme, c’était un médiocre distingué, un homme intelligent qui avait seulement tort de peindre, un curieux d’art plutôt qu’un artiste. Il s’en aperçut le premier, chose bien particulière et bien rare. Il quitta les pinceaux pour l’enseignement et l’enseignement pour des recherches de cabinet et de laboratoire sur l’histoire de la peinture et la chimie des couleurs. Professeur à l’École polytechnique de 1800 à 1815, secrétaire de l’École des Beaux-Arts depuis 1807, il donna, en 1830, son livre sur l’histoire de la peinture à l’huile depuis Van Eyck jusqu’à nos jours, et il en préparait une seconde édition lorsqu’il mourut en 1836. Cette vie n’avait pas été exempte d’aventures. Il avait beaucoup voyagé, surtout en