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partis, témoin intéressé de leurs contradictions, de leurs débats intimes et prenant une part croissante à leur vie active. Placé entre les deux camps, ayant, comme on dit, un pied dans ces diverses sociétés royalistes dévorées de divisions, il avait, lui aussi, à choisir. Quand il dit qu’il avait hésité, il se méprend : il avait déjà fait son choix. Il s’était décidé en homme « initié aux infirmités du parti légitimiste. » Sans doute, comme Vendéen, il avait gardé des relations de déférence et d’affection avec le duc des Cars : il écoutait ses confidences et revenait de ses visites ému du dévoûment d’un chef toujours prêt à tout risquer pour sa cause. Il ne partageait pas les illusions du vieux gentilhomme. Il pensait déjà, ce qu’il disait un peu plus tard à M. le comte de Chambord lui-même : « La Vendée est une admirable page d’histoire, mais c’est surtout une page d’histoire religieuse. Son héroïsme vint de l’ardeur de sa foi. Pour les Vendéens, le roi était surtout le vengeur et le garant des droits de leur conscience. Rien de pareil ne peut exister aujourd’hui. Le sol même ne s’y prêterait plus. La Vendée d’autrefois était impénétrable… Aujourd’hui l’ouest est ouvert au commerce le plus actif, à la circulation la plus facile… Nos mœurs et notre civilisation comprennent autrement les devoirs du patriotisme… D’ailleurs, il ne s’agit pas de condamner le passé, il importe seulement de ne pas le prendre pour modèle à contretemps et à contre-sens[1]. » Il avait eu de plus l’occasion de voir de près à Rome l’action étouffante de M. le duc de Lévis, et il en avait rapporté une impression pénible. Par tous ses instincts, au contraire, il se sentait attiré vers l’autre camp, vers Berryer. Il avait été séduit par cette libéralité de nature et cette générosité d’esprit qui faisaient du plus brillant défenseur de la légitimité un orateur national. Peut-être aussi avait-il été stimulé ou fortifié dans ses sympathies par les frivoles iniquités, par « les calomnies et les méfiances » dont Berryer était l’objet dans son propre parti, où l’on affectait de ne voir en lui que l’avocat d’office d’une grande cause, une éloquence de profession ou de décoration. Il comprenait enfin que

  1. C’est ce que M. de Falloux sentait déjà et ce qu’il disait plus tard à M. le comte de Chambord dans une conversation où le prince souriait un peu des 200,000 hommes de M. des Cars, en ajoutant toutefois qu’il « en lèverait à peine la moitié. » — M. le duc des Cars, reprenait vivement M. de Falloux, n’a pas plus sous ses ordres 100,000 hommes que 200,000, et il importe que Monseigneur soit absolument fixé là-dessus. Le duc des Cars compte, éparpillée dans l’Ouest et dans le Midi, 4,000 ou 5,000 hommes qui s’enrôlent ou se laissent enrôler : les uns prêts à sacrifier leur vie pour la cause royale ; les autres qui prendront le temps de la réflexion ; un certain nombre enfin beaucoup plus sérieusement enrôlé dans la police. » — (Voir les Mémoires d’un royaliste.) — M. de Falloux ne disait cela que plus tard, à un moment où il avait acquis plus d’autorité ; mais il l’avait toujours pensé. M. le comte de Chambord se bornait à lui répondre qu’à son tour il exagérait.