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initié aux mouvemens et aux tactiques des partis, en gardant néanmoins parmi eux une certaine indépendance. Il était assurément lié avec les chefs de l’agitation catholique du temps, Montalembert, Lacordaire, qui l’avaient précédé dans l’intimité de Mme Swetchine. Il avait pour eux, pour leurs œuvres, pour leurs discours ou leurs prédications, la plus affectueuse admiration ; il n’était pas toujours avec eux. Entre Montalembert et M. de Falloux tout était contraste, sauf la foi. Il y avait des différences d’opinions, de procédés, de natures qui devaient s’accentuer avec le temps et apparaître plus tard dans le feu de l’action ou à la lumière de la tribune, sans jamais rompre leur amitié. Divergences, chocs intimes, et il y en a eu depuis plus d’une fois, étaient une affaire de tempérament entre un tribun et un politique unis par la même foi.

Tout entier alors à sa campagne pour la liberté religieuse, pour la liberté de l’enseignement, Montalembert se livrait, avec l’âpreté de la jeunesse, à la fougue d’une éloquence tour à tour passionnée, altière, dédaigneuse, spirituelle et toujours saisissante. Il ne voyait avant tout, dans la lutte où il était engagé, que l’intérêt catholique, et il se défendait avec l’impétuosité d’un jeune disciple de Lamennais, qui n’avait pas suivi le grand sectaire dans sa révolte, mais qui avait retenu de cette violente école je ne sais quelle inextinguible ardeur. Il avait vu au lendemain de 1830 les croix abattues, les autels profanés, Saint-Germain-l’Auxerrois saccagé, le sacerdoce expier par une dangereuse impopularité ses alliances, ses complicités, si l’on veut, avec la restauration. Il avait vu tout cela, et il en gardait cette vive impression que l’église devait désormais se dégager de toute solidarité avec les dynasties qui passent, surtout avec la monarchie qui venait de disparaître, et rester indépendante des partis. Il rêvait pour elle un rôle nouveau, la vie et l’action dans le droit commun, la revendication de toutes les libertés modernes, liberté de l’enseignement, liberté de l’apostolat, liberté des associations religieuses. Montalembert, pour sa part, ne portait dans ces luttes aucune hostilité contre le règne de juillet, qu’il reconnaissait parfaitement, aucun calcul politique, aucun regret d’ancien régime. Il ne parlait pas en légitimiste ; il prétendait même un peu lestement que la légitimité était une « idée turque, » et lorsque ceux qu’il appelait des « faux libéraux » affectaient de ne voir dans sa campagne pour la liberté de l’enseignement qu’une « affaire de parti politique déguisée sous un masque religieux, » une tactique habile, il se défendait vivement de toute arrière-pensée. Il saisissait toutes les occasions de « séparer l’intérêt religieux de l’intérêt légitimiste. » Et ce que Montalembert pensait, ce qu’il disait dans ses polémiques comme au Luxembourg, où sa pétulante jeunesse faisait à la fois le désespoir et le charme du chancelier