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pourrait appeler, pour M. de Falloux comme pour bien d’autres, « les années d’apprentissage. » Né avec les faveurs de la fortune et des traditions de famille qui avaient décidé de ses idées premières, surpris par une révolution qui, en lui fermant une carrière, avait changé son avenir, instruit par les voyages, par la vie des sociétés choisies, par l’étude, il avait rapidement pris la position d’un jeune homme à qui tout sourit. Par son royalisme, il se rattachait au monde légitimiste, sans partager ses passions ou ses préjugés, sans abdiquer le droit d’avoir une opinion, même une opinion assez libre sur la direction et les hommes de son parti. Par ses croyances religieuses, il se rattachait au monde catholique, à ses œuvres, à ses propagandes, sans être persuadé qu’il fallût absolument manquer de politesse et de tact pour être un bon chrétien, sans se croire obligé de se dérober aux convenances sociales et à ce qu’il appelait « l’observation des divers incidens de son siècle. » Par le hasard des relations mondaines, il était devenu le familier, l’hôte intime et filial d’une maison où il avait trouvé, dans une atmosphère peut-être un peu factice, sous l’égide d’une personne d’élite, grande pêcheuse d’âmes, les amitiés les plus empressées, les encouragemens précieux. Par ses premiers ouvrages, il avait montré, sinon l’art d’un écrivain supérieur, du moins la grâce et le zèle d’un esprit fait pour tous les succès. Parisien, il l’était sans doute, par ses relations, par son goût de la bonne compagnie et des belles conversations, — sans cesser cependant d’être un « rural » ou un « provincial, » comme il le dit, de rester attaché à son coin de terre natale, à l’Anjou et au Bourg d’Iré où il revenait tous les ans, comme pour se retremper à une source vivifiante. Et touchant à tous les mondes, il avait pour ainsi dire passé à travers toutes les influences. De ce mélange se dégageait par degrés une sorte d’originalité curieuse et intéressante : originalité d’un homme rapidement mûri, formé à la diplomatie mondaine, alliant à une fierté native une souplesse insinuante et à des croyances fixes le goût de toutes les conciliations, royaliste au camp des catholiques, catholique au camp légitimiste, et partout politique singulièrement fin et avisé. Dès ce moment, se dessine le trait essentiel de son caractère : c’est en tout et avant tout un politique.


IV

Qu’on se représente un instant M. de Falloux dans cette jeunesse grandissante, heureuse de vivre, entre 1840 et 1845. Sans être encore connu, il était déjà compté par ses amis qui voyaient en lui un jeune sage. Il suivait leurs réunions, leurs travaux ; il était