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qui emportait la France, ni le caractère de la lutte « entre les intérêts nouveaux qui réclamaient légitimement une place et les intérêts anciens qui refusaient trop opiniâtrement de la leur accorder. » Il a dit plus tard que, s’il avait écrit son Louis XVI à la fin de sa carrière, au lieu de l’écrire pour son début, il aurait précisé plus nettement ce qu’il n’avait fait qu’indiquer ; qu’il eût bien plus insisté sur la longue désuétude des états-généraux qui avait laissé la monarchie sans conseil et sans défense, « sur l’aveuglement prolongé et la responsabilité des classes privilégiées… » Ce qu’il y avait de curieux et de significatif dans ce premier essai, c’est qu’il était l’expression des idées, des opinions d’une nouvelle génération royaliste, qui, en restant fidèle aux traditions de légitimité, ouvrait son esprit à un souffle plus libéral et faisait à demi sa paix avec la révolution française. M. de Falloux, par son Louis XVI, rendait témoignage de cet état d’esprit, de sa foi politique, comme peu après, par la Vie de saint Pie V, il rendait témoignage de sa foi religieuse, en prenant sa place dans ce mouvement de catholicisme renaissant, que Montalembert et Lacordaire, entre tous, animaient de leur feu.

Qu’est-ce que cette Vie de saint Pie V ? C’est une étude de jeunesse encore, sans doute. M. de Falloux, par son premier essai, avait tenu à fixer ses idées ou à dire son mot sur la formidable crise de la fin du dernier siècle ; maintenant il remontait plus haut, il se tournait vers cette autre révolution morale et religieuse qui a ébranlé le monde il y a trois siècles. C’était pour lui une manière de s’associer, dans la défense de la cause catholique, à Lacordaire et à Montalembert dont il était l’ami par Mme Swetchine, dont il avait subi l’influence sans se confondre toujours cependant avec eux. Après quelques tâtonnemens, il s’était attaché à une des périodes les plus agitées de l’histoire. C’est cette grande et saisissante époque du XVIe siècle, où le catholicisme à demi démantelé et humilié, entamé par la réforme à l’Occident, menacé par l’islamisme à l’Orient, compromis par une série de papes dissolus ou ambitieux, se redresse tout à coup sous la main de nouveaux pontifes, raffermissant l’unité de la doctrine et de ses règles par le concile de Trente, reprenant l’ascendant sur la réforme, refoulant le Turc par la victoire de Lépante. C’est la vie de l’Europe tout entière à un des momens les plus décisifs, c’est l’histoire d’une grande croyance qui se relève à travers les tourmentes. M. de Falloux s’était laissé séduire par ce spectacle et, en prenant pour héros le pieux et austère dominicain, Michel Ghislieri, devenu le pape Pie V, il choisissait justement celui qui fut, dans son humilité de moine, un des plus énergiques, un des plus intrépides acteurs de cette renaissance catholique. C’était fait pour tenter une jeune