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s’y était préparé en recommençant ses études, en se mettant un beau jour à suivre la politique, les destinées de la monarchie dans les annales françaises, dans cette vaste et vivante littérature de mémoires, qui va de Villehardouin ou de Joinville à La Fayette ou à Mirabeau. Il cherchait le secret du présent dans le passé, comme le paysan d’Athènes se tournait vers le couchant pour mieux saisir, au sommet de la plus haute montagne, le premier rayon du soleil prêt à se lever à l’extrémité opposée. C’était beaucoup pour un petit volume. Jusqu’à quel point aurait-il réussi ? Il ne le savait pas. Il avait soumis son manuscrit, non pas à un critique, dure race, ou à un politique à prétention, mais à un homme fin et sensé, fils d’un des plus illustres constituans, M. le baron Mounier, alors pair de France, dont il écoutait les conseils et dont il attendait le jugement. C’était le moment, — 1839, — où Mme Swetchine, confidente de tout, écrivait à un de ses plus fidèles amis, M. de Melun : « Je n’ai ici, en quelque possession, que le bon Alfred et son aimable assiduité. Il est en relation établie avec M. Mounier, avec qui j’ai causé longuement de son Louis XVI, qu’il n’avait pas encore lu. Le manuscrit vient de lui être donné, et je partage sûrement l’émotion de l’auteur à ce jugement dont dépendra jusqu’à un certain point sa confiance en lui-même[1]. » C’était l’émotion intime d’un premier début dans les lettres !

Ce Louis XVI, en définitive, ce Louis XVI, auquel n’avaient manqué ni les bons conseils ni les encouragemens amis, n’était point sans doute une histoire de la révolution française : il n’en avait pas la prétention. Il avait le mérite de résumer le sens d’un des plus cruels événemens de cette histoire, de dégager une fois de plus de cet amas de catastrophes ces problèmes si souvent agités et toujours obscurs : comment la révolution aurait-elle pu être conjurée ou détournée ? Y eut-il un moment, et quel serait le moment, où elle aurait pu être arrêtée et rester une conciliation pacifique et réformatrice ? Par quelle série de fatalités, de déviations, de conceptions, dans l’état moral et politique de la France, par quel ensemble de causes profondes s’était formé l’effroyable orage qui venait se résoudre sur la tête du plus vertueux et du mieux intentionné des princes, victime expiatoire de tout un passé ? M. de Falloux n’avait pas plus que d’autres résolu ces problèmes, désormais peut-être un peu rétrospectifs ; il était entré du moins dans cette étude avec un esprit sincère, gardant sa piété pour la mémoire de la royale victime, sans rien méconnaître, ni les fautes et les faiblesses de la monarchie, ni la puissance du mouvement

  1. Lettres de Mme Swetchine, 2 vol. Les lettres à Mme de Nesselrode jettent surtout un jour très vif et très fin sur ce monde légitimiste du temps.