Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/498

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans bruit, comme figés dans l’étiquette et le vieux roi qui n’avait rien appris, et le Dauphin, « toujours taciturne et résigné[1], » et la Dauphine, sacrée par ses malheurs, et ceux que par une familiarité touchante on appelait « les enfans. » Il avait senti peut-être aussi le froid de la vétusté. Il n’avait pu, je le crois bien, se défendre d’une impression pénible en voyant les agitations intimes, les divisions, les intrigues, jusque dans cette petite cour de l’exil, l’éducation même du jeune prince qui allait être le comte de Chambord, livrée à des influences surannées. Il avait voulu pour cette jeunesse plus de vie et de mouvement, « l’éclat d’un gouverneur illustre, » — sans doute M. de Chateaubriand. Il écrivait à Paris : « C’est un diamant qui n’est pas monté ! » Il emportait des doutes sur cette éducation qu’il avait voulu voir de près pour lui demander, disait-il, le secret de l’avenir, et ses doutes étaient destinés à durer. Toutes les lois qu’il a rencontré depuis à Rome, à Venise, le duc de Bordeaux, devenu le comte de Chambord, il a été toujours sous le charme de ce prince d’une grâce séduisante et presque imposante ; il n’avait pas le même goût pour l’entourage, pour les conseillers de l’exil. Il sentait que « le diamant n’était pas monté. » C’était la suite de l’impression de Prague ! Si, d’un autre côté, le jeune voyageur s’était fait l’illusion de trouver dans les cours étrangères un intérêt bien vif pour les vaincus de 1830 et la cause légitimiste, un sentiment survivant de solidarité entre les couronnes, entre les aristocraties de l’Europe, il n’avait pas tardé à être désabusé. Il n’entendait à Vienne que des paroles fort libres sur le vieux roi Charles X, sur la politique des ordonnances et la révolution de juillet. Il n’avait découvert dans tout Vienne qu’un salon où florissait le pur royalisme à la française, celui d’une vieille comtesse Batthyanyi, qui n’avait qu’un souffle de vie. À Berlin, il arrivait au lendemain des succès personnels des princes français, M. le duc d’Orléans, M. le duc de Nemours, qui venaient de visiter la cour de Prusse. À Rome, il tombait dans un autre monde, un monde immobile, attachant par la mélancolie des ruines, indifférent aux dynasties. Partout il n’avait vu que des gouvernemens pleins de réserve et des sociétés sans sympathies.

Évidemment, le royaliste n’avait rien trouvé qui pût réconforter ses espérances. Le touriste à l’esprit alerte et ouvert trouvait de quoi s’instruire et s’amuser à voir la vie européenne dans son mouvement intime et dans ses contrastes, la scène du monde avec ses personnages, depuis le chancelier d’Autriche jusqu’au duc de

  1. On peut lire sur cette cour de Prague et cette vie des princes exilés, surtout sur M. le duc d’Angoulême, des Souvenirs laissés par M. le marquis de Villeneuve et publiés récemment sous ce titre : Charles X et Louis XIX en exil, 1 vol. in-8o.