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affiliations aux œuvres de propagande religieuse ou de charité mondaine, par les cultures de l’esprit, par tout ce qui remplace la politique, — et peut au besoin y ramener. Il s’ouvrait à lui-même une carrière nouvelle où allait se dégager par degrés et se fixer cette nature intelligente et fine.


II

« Ne pouvant désormais étudier l’Europe en diplomate, a-t-il dit, je voulus du moins la parcourir en touriste. » Ces voyages que M. de Falloux tenait à inaugurer par un pieux pèlerinage de fidélité à la petite cour de la royauté exilée à Prague, en se promettant par surcroît et un peu délibérément de voir de ses propres yeux « ce que l’avenir pouvait attendre des qualités naturelles et de l’éducation de M. le duc de Bordeaux, » ces voyages sont un des épisodes les plus curieux de cette carrière. Passer quelques années à visiter l’Europe, voir tour à tour Vienne et Berlin, Saint-Pétersbourg, Moscou et Kasan ou Varsovie, Londres et Edimbourg, Venise, Florence et Rome, c’était certes pour un jeune homme le meilleur moyen d’élargir et d’élever son esprit, de se former au spectacle des diversités humaines. Le spectacle avait d’autant plus d’intérêt dans un temps où l’on ne voyageait pas aisément, où les caractères de tous les pays restaient bien plus tranchés, où, en face d’un monde nouveau qui commençait à grandir, la vieille Europe vivait encore avec ses traditions et ses chefs, — M. de Metternich à Vienne, M. de Nesselrode à Saint-Pétersbourg, le dernier pape d’ancien régime à Rome. Tout était fait pour piquer et intéresser une curiosité intelligente. Je ne dirai pas que M. de Falloux jetait un regard bien profond sur ces contrées qu’il parcourait. Il voyageait peut-être un peu trop en jeune touriste recommandé qui avait des lettres pour les personnages de cour à Vienne, pour Mme de Nesselrode à Saint-Pétersbourg, pour le maréchal Paskiewitch à Varsovie, ou pour l’inévitable M. de Humboldt à Berlin, — et qui croyait montrer sa petite indépendance en se dispensant de faire sa visite aux ambassadeurs du roi Louis-Philippe. Il voyait sûrement la vie mondaine plus qu’il n’étudiait le génie des nations. Le touriste ne restait pas moins un observateur délié et avisé des mœurs et même des ridicules. Il trouvait dans ses courses à travers l’Europe l’avantage de se familiariser avec les choses et les hommes, — il y trouvait aussi parfois des mécomptes.

Qu’avait-il vu à Prague, cette première étape de ses voyages ? Certainement il portait dans sa visite le respect attendri des royales infortunes. Il n’avait pas franchi sans émotion le seuil de cet antique et morne palais de la Moldau, le Hradschin, où vivaient