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y avait à réfléchir et même peut-être à hésiter dans l’intérêt de l’honneur du pays, c’est avant de s’engager qu’il aurait fallu tout calculer. Le jour où un éclat ne pouvait plus être évité, il n’y avait plus qu’à prendre son parti sans subterfuge, à faire hardiment son choix entre les systèmes de conduite qu’on avait à suivre.

Le seul procédé sérieux et efficace était évidemment de se mettre à la tête de cette liquidation judiciaire et politique qui s’ouvrait presque à l’improviste, de se dégager de toutes les considérations secondaires, surtout des considérations de parti, d’accepter libéralement, résolument toutes les conséquences de l’œuvre de répression et d’épuration devant laquelle on ne pouvait plus reculer. L’œuvre était certainement délicate, elle devenait une nécessité dans une situation où la moindre hésitation pouvait ressembler à une tolérance ou à une complicité. La première condition était de maintenir la justice dans sa liberté et son indépendance au-dessus de toute suspicion, de lui laisser la plus complète autorité pour « faire la lumière, » comme on dit, pour chercher les coupables, s’il y en avait, et exercer les poursuites, s’il y avait des poursuites à exercer. La seconde condition, toute politique, pour un gouvernement prévoyant, était de décliner toute solidarité avec un passé désormais visiblement compromis, de comprendre que, dans la situation nouvelle où l’on entrait, la seule sanction efficace de toutes les déclarations était de « changer de système. » C’est le mot qui s’échappait, pour ainsi dire, de tout un ensemble de choses, et qui avait passé dans l’ordre du jour de M. Cavaignac. Par la netteté de son attitude et de ses résolutions, le gouvernement pouvait sans doute être conduit à des actes qui lui auraient coûté ; mais il se dégageait lui-même, il dégageait le régime devant le pays ; il rassurait l’opinion par la garantie visible, avérée, d’une justice indépendante et "impartiale. Il pouvait, il devait en même temps rallier tous les esprits, toutes les bonnes volontés sincères à une politique libre de toutes les compromissions malfaisantes. Ce n’était pas encore facile, nous en convenons ; c’était possible et digne d’être tenté, fait pour parler à la loyauté d’une nation sensible à l’honneur et aux desseins généreux.

C’était dans tous les cas l’acte viril d’un gouvernement décidé à en finir avec cette éternelle et irritante obsession, avec une crise oppressive. Ce qui ne ressemblait, ce qui ne ressemble plus à rien, c’est de se jeter dans cet immense guêpier sans une conviction bien apparente, de passer entre tous les systèmes ou tous les expédiens, de paraître chercher la vérité et d’essayer de la voiler là où elle pouvait être importune, de multiplier les perquisitions et d’arriver toujours trop tard, d’avoir l’air de marcher au hasard sous l’aiguillon des révélations imprévues. La plus dangereuse comme aussi la plus inutile des tactiques était certainement de faire ce qu’on a fait. Que le gouvernement n’ait eu que de bonnes intentions, qu’il ait même cru agir prudemment ou