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Le procureur-général Bellart donna lecture de l’acte d’accusation, où il présentait les faits des 13 et 14 mars sous le jour le plus inexact, le plus défavorable au maréchal. Ney s’abstint de répondre, demandant d’abord pour ses défenseurs la liberté de développer leurs moyens préjudiciels. Berryer s’efforça de démontrer l’arbitraire et l’illégalité de la procédure adoptée, il sollicita une loi spéciale. Battu sur ce point, il réclama à l’audience suivante, le 23, un délai de huitaine pour la préparation de la défense et la citation de quelques témoins à décharge. Malgré l’opposition furieuse de Bellart, la chambre fit droit à cette requête et s’ajourna au 4 décembre.

Les avocats demandaient du temps, avec l’espoir d’arracher aux puissances alliées une déclaration de la plus haute importance pour la cause. Depuis l’arrestation de Ney, la maréchale multipliait les démarches et les suppliques en faveur de son mari. La malheureuse femme s’était vainement adressée au roi, à Talleyrand, à Fouché, à Richelieu, à toutes les influences qu’elle pouvait remuer ; enfin, et quoi qu’il lui en coûtât, elle avait écrit aux ambassadeurs des puissances, à Wellington, au prince-régent d’Angleterre, pour prier les signataires étrangers de la convention du 3 juillet qu’ils voulussent bien donner une interprétation explicite de l’article 12. Cette convention, relative à la capitulation de Paris, avait mis fin à la guerre ; les commissaires du gouvernement provisoire y avaient introduit, les alliés avaient accepté l’article suivant : « Seront pareillement respectées les personnes et les propriétés particulières. Les habitans, et en général tous les individus qui se trouvent dans la capitale, continueront à jouir de leurs droits et libertés, sans pouvoir être inquiétés ni recherchés en rien, relativement aux fonctions qu’ils occupent ou auraient occupées, à leur conduite et à leurs opinions politiques. » C’était en s’appuyant sur ces stipulations que Louis XVIII avait si noblement protesté contre l’entreprise de Blücher sur le pont d’Iéna. Ney était couvert par l’article 12, les ordonnances du 24 juillet avaient méconnu le pacte initial de la deuxième Restauration, disait la défense ; qu’elle obtînt seulement des contractans étrangers du 3 juillet une déclaration favorable à ses dires, et la tête du maréchal était garantie par cette même Europe au nom de qui on la demandait. — Les supplications de Mme de la Moskowa ne gagnèrent rien sur la réserve calculée des cabinets alliés ; on lui fit des réponses polies, évasives ; celle de Wellington, l’arbitre souverain de nos destinées à ce moment, était empreinte d’une sécheresse toute britannique : elle fait peu d’honneur à l’heureux adversaire du vaincu de Waterloo.