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soir, de toutes les humiliations reçues dans la journée, » disait-il à Lecourbe. Il y a beaucoup d’histoire dans ce peu de mots. Avec ces larmes de femme, les imprudens courtisans des Bourbons ont grossi l’orage qui devait emporter leurs princes. Pour fuir ces tracasseries, Ney s’était retiré en janvier 1815 dans sa terre des Coudreaux, près de Châteaudun. Un aide-de-camp de Soult vint l’y chercher, le 6 mars, avec un ordre de convocation du ministre de la guerre. Cet officier ne souffla pas mot des événemens publics. Le 7, en arrivant à Paris, le maréchal apprit par son notaire, Me Batardy, le débarquement de Napoléon au golfe Juan. Ses exclamations trahirent la contrariété, l’inquiétude, une irritation sincère contre le perturbateur de la paix. Soult lui prescrivit de se rendre sans désemparer à Besançon, pour y réunir les troupes du 6e gouvernement militaire. Ney demanda avec insistance à voir le roi ; reçu aux Tuileries à onze heures du soir, il baisa la main du monarque, il parla avec fougue des mesures à prendre pour arrêter Bonaparte, il qualifia sévèrement l’insensé qui méritait « d’être mis à Charenton ou ramené à Paris dans une cage de fer. » — « Nous ne lui en demandions pas tant, » dit à ses familiers le spirituel Louis XVIII. Le 10 mars, le jour même où l’empereur entrait à Lyon, Ney prit à Besançon le commandement des forces réunies sous sa main ; elles s’élevaient à peine au chiffre de 6,000 hommes, avec une artillerie démontée. Il en forma deux brigades, confiées aux divisionnaires Bourmont et Lecourbe, et les achemina sur Lons-le-Saulnier. Du 10 au 13, ses lettres au ministre réclamaient énergiquement des renforts, des chevaux, des munitions, et les rapports des fonctionnaires royalistes attestent qu’il « tenait des discours véhémens contre Napoléon. » Dans la journée du 13, tandis que les mauvaises nouvelles arrivaient coup sur coup, annonçant la défection successive des régimens, la perte des parcs d’artillerie, l’insurrection des villes avoisinantes, Mâcon, Châlons, Dijon, le maréchal continua d’organiser la résistance, secouant rudement ceux qu’il appelait des trembleurs. Le 14, à une heure, il fit assembler les troupes sur la grande place de Lons-le-Saulnier ; on le vit arriver, suivi de Bourmont et de Lecourbe, et tirer de sa poche un papier : c’était la trop fameuse proclamation qui commençait par ces mots : « La cause des Bourbons est à jamais perdue.., » et se terminait ainsi : « Soldats, je vous ai souvent menés à la victoire. Maintenant je veux vous conduire à cette phalange immortelle que l’empereur Napoléon conduit à Paris et qui y sera sous peu de jours ; et là notre espérance et notre bonheur seront à jamais réalisés. Vive l’empereur ! » — Cinq ou six officiers sortirent tristement des rangs ; le cri