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récit, pour l’appréciation des actes et des sentimens du maréchal ; un peu moins, peut-être, pour la responsabilité morale des accusateurs et des juges. L’historien décharge le prévenu, et il a mille fois raison, en montrant la pression des circonstances sur les résolutions de cet infortuné. Il constate loyalement cette même pression, en sens inverse, sur l’esprit des hommes qui le condamnèrent ; son extrême sévérité contre ces derniers s’explique mal ensuite. Je comprends la généreuse indignation qui donne parfois à ces pages le ton d’un contre-réquisitoire ; j’y voudrais l’accent contenu du juge qui rend un arrêt. Je ferai encore à l’ouvrage une critique de détail. M. Welschinger n’aime pas Talleyrand, je l’en félicite, c’est l’indice d’une belle âme ; on voit même qu’il l’abomine, et on le voit trop ; la silhouette du prince de Bénévent repasse à chaque instant au fond de la scène, alors même que rien ne l’y appelle, et toujours pour recevoir un bon coup de batte ; la gravité de l’histoire souffre un peu de cette taquinerie obstinée.

J’ai dit mes scrupules avant d’applaudir franchement un livre bien fait ; ils n’étonneront pas l’historien scrupuleux à qui je m’adresse. Peut-être suffirait-il maintenant de relever, dans cette révision du procès, les indications nouvelles qui modifient ou accentuent la physionomie d’événemens si connus. Ce travail intéresserait un petit cercle de professionnels ; il ennuierait prodigieusement le public, indifférent à nos discussions de métier, curieux seulement de voir revivre le drame dont il a un vague souvenir. Nous ne sommes que de grands enfans ; quand on fait allusion devant nous aux histoires tragiques, nous aimons qu’on nous les raconte à nouveau, comme si nous ne les avions jamais entendues. Je résumerai brièvement le récit de M. Welschinger, en y ajoutant ce que j’ai glané à travers d’autres lectures, et je marquerai chemin faisant les divergences légères de nos points de vue.


I

On sait qu’en 1814, à Fontainebleau, lors de la première abdication, le prince de la Moskowa s’était montré le plus pressant et le plus dur des lieutenans de Napoléon, le plus impatient d’en finir avec l’agonie du régime impérial ; un nouveau pouvoir sonnait le ralliement ; fidèle à ses habitudes, Ney avait chargé en tête de ligne. Comme les autres maréchaux, il avait été appelé à la pairie et investi d’une grande situation militaire ; comme eux, il n’avait pas tardé à ressentir les dédains et les piqûres quotidiennes qui détruisaient l’effet des bons traitemens officiels. « Je ne veux plus voir ma femme rentrer en pleurant, le