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mesure où elles sont d’accord, se servent réciproquement de contrôle.

Ces quelques mots indiquent les trois principales directions dans lesquelles s’engage actuellement la psychologie ; il y a une psychologie des laboratoires, une psychologie pathologique, et une psychologie descriptive. Par là, on peut comprendre dans quelle mesure la psychologie nouvelle se distingue de ce qu’on appelle déjà l’ancienne psychologie ; elle ne s’en distingue, je le répète, par aucun principe de morale ou de métaphysique. Ce qui les sépare, c’est une simple tendance, la tendance à se répandre au dehors et à chercher l’analyse de la pensée dans les faits extérieurs plutôt que dans l’observation de sa propre conscience. Certainement la psychologie ancienne n’a jamais songé à proscrire ces méthodes d’exploration extérieure ; elle a recommandé l’observation des aliénés et des malades, et a signalé l’emploi des appareils de précision ; mais en fait, les psychologues qui se rattachent à l’ancienne tradition ne se sont point servis de ces méthodes ; ils se sont contentés de l’introspection.

Sur ce point précis, le désaccord entre les deux tendances est particulièrement frappant. La psychologie nouvelle ne songe nullement à repousser l’introspection ; mais quand elle doit s’en servir, elle le fait d’une manière qui lui est propre. Supposons, par exemple, que de nos jours un psychologue de l’école expérimentale voulût aborder une de ces questions qui ont tant passionné les philosophes classiques, par exemple l’analyse intime de l’acte volontaire. On sait que les anciens philosophes ont cru qu’ils saisissaient sur le vif, dans la conscience de cet acte, une cause transcendante ; ils pensaient faire de l’observation, soit ; mais ils avaient le tort de se restreindre à une observation individuelle. La psychologie nouvelle procéderait tout autrement ; elle voudrait connaître la pensée non-seulement du philosophe, mais du commerçant, du cultivateur, de l’enfant, de l’aliéné ; et on multiplierait les recherches pour recueillir des preuves dans un sens ou dans l’autre. Nous touchons du doigt la différence des deux procédés ; en se servant de l’introspection, les modernes y ajoutent un élément important, le contrôle. Ou je me trompe fort, ou ce petit mot indique à lui tout seul ce qu’il y a de meilleur dans l’esprit nouveau. On cherche à poser les problèmes sous une forme où la solution puisse être contrôlée ; on ne se contente plus d’une affirmation individuelle, alors même qu’elle serait écrite dans le langage le plus noble, et fixée dans un chef-d’œuvre de littérature : on veut des preuves.


ALFRED BINET.