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allemande. Et, pour l’Autriche, nulle part les congrès catholiques n’ont été si nombreux, si ardens ; nulle part, on n’y a vu autant de princes du sang et de ministres. François-Joseph est allé à Venise, mais rien n’a pu le faire aller à Rome. Venise, c’est lui qui l’a perdue, qui l’a cédée : Rome, ce n’est pas à lui de la céder.

Si l’Italie avait les yeux ouverts, l’Allemagne et l’Autriche lui devraient être aussi suspectes, plus suspectes même que la France : nous l’avons montré par l’histoire, et d’ailleurs le bon sens le crie. Le bon sens crie que ce n’est pas la France qui la fera demain, cette guerre qu’elle n’a pas faite hier, pour restaurer le pouvoir temporel des papes. Elle ne l’a pas faite, de 1873 à 1877, lorsqu’elle avait un gouvernement réactionnaire : la fera-t-elle, maintenant qu’elle peut avoir des gouvernemens de toute sorte, maçonniques, jacobins, radicaux, libéraux, mêlés de l’un et de l’autre, tous les gouvernemens, sauf le réactionnaire et le clérical ! Mais M. Bonghi hoche la tête ; eh ! oui, justement c’est l’énigme : « Des douleurs, très saint-père, vous en avez de la France chaque jour, et, à la pente que descend ce pays, vous en aurez chaque jour davantage… Et cependant vous le comblez, et lui seul, de vos dons ! » M. Geffcken et le diplomate de la Contemporary Review joignent leurs voix : « Il y a quelque chose là-dessous » et ce quelque chose, c’est que, de cette France qui lui cause chaque jour des douleurs, le pape espère une très grande joie, délices terrestres qu’il préfère à l’amitié de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie, délices spirituelles s’il en fut, l’unique joie qu’il soit affamé de goûter ici-bas : la restauration de son pouvoir temporel.

Suite des contradictions : M. Bonghi sait et proclame que cette restauration est une chimère : M. Geffcken et le diplomate disent que c’est un mirage. Tous les trois s’accordent en ce point et tous les trois s’accordent aussi à considérer Léon XIII comme un fin politique, prudent, avisé, pratique, nullement comme un naïf ou un songe-creux. Néanmoins ils n’hésitent pas lui à prêter la plus grosse des naïvetés et la plus creuse des songeries, un scempio. Que ce soit une naïveté, une songerie creuse, d’attendre de la France républicaine la restauration du pouvoir temporel, et que Léon XIII ne soit pas un pape à construire sur les nuages des architectures politiques, cela devrait amplement suffire : la cause devrait être entendue. Mais il paraît que, malgré tout, malgré l’évidence, elle ne l’est pas. Il faut donc appeler les témoins.

Un de ces témoins, qu’on lui pardonne de s’introduire ainsi, c’est moi-même. Les circonstances ont fait que l’auteur de cet article, quamvis indignus, a vu de près tout ce qui s’est passé, de 1889 à 1892, entre le saint-siège et la France. Il a pris part, non aux