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tâchons de dire la vérité. Si Rome se rendait à vous, est-ce que vous pourriez y rester ? » M. Bonghi ne veut pas discuter avec le pape sur le point de savoir si la majorité des Romains est encore ou non favorable à la domination pontificale, et si après vingt-deux ans de régime laïque, elle incline encore à se donner pour prince un prêtre. Les fautes du gouvernement italien, il les confesse et les condamne. Mais que la majorité des Romains en soit revenue au pape, il ne le croit pas, il n’en voit pas de signes. En tout cas, il faudrait compter avec une minorité remuante, qui ne laisserait ni trêve, ni répit. « Vous menez maintenant une vie recluse, mais tranquille ; vous mèneriez une vie recluse, mais troublée. »

M. Bonghi est tout perplexe : « Je ne sais pas, sainteté, si vous vous faites une idée claire du risque que l’Église encourt à un semblable jeu. Je sais bien que portœ inferi non prœvalebunt, mais je me rappelle une repartie de Pie IX à quelqu’un qui, pour l’encourager, lui répétait ce texte-là : « Oui, répondit-il, le navire est garanti de tout naufrage ; mais de l’équipage, de la chiourme (della ciurma), il n’est rien dit. » Le Vatican ne cesse de fulminer contre la loi des garanties, mais le gouvernement italien, qui l’a faite, peut la défaire. Le saint-siège s’en trouverait il mieux ? En Italie, les congrégations sont libres ; mais les lois restrictives qui ne sont pas faites, on peut les faire. On en fait bien en France, « dans cette France qui vous tient tant à cœur. » Il faudrait que tous les modérés, que tous les justes d’esprit eussent un appui dans l’Église. « Et vous le leur enlevez, très saint-père. Et pourquoi ? Parce que vous êtes ferme dans cette pensée, que le pouvoir temporel est le porrò unum, et cette pensée, vous l’inspirez à la catholicité tout entière, qu’elle soit lointaine ou prochaine, avec une ténacité non moins admirable que douloureuse. »

Léon XIII veut-il que l’Église soit en Italie, à la fin de ce siècle, soumise aux mêmes épreuves qu’en France, à la fin du siècle dernier ? Le pape n’a d’yeux que pour la France, eh bien ! la France, dans quelle situation religieuse est-elle ? « Ne voyez-vous pas s’y épandre le flot de l’athéisme ? Ne voyez-vous pas combien reste vaine à le repousser toute l’indulgence que vous montrez ? Ç’a été, certes, une sage politique que la vôtre ; elle a tenté de rompre le lien qui unissait le catholicisme à la monarchie et de le renouer avec la République. Mais quel bénéfice en avez-vous retiré ? Évidemment, vous vous proposiez de créer une opinion puissante à laquelle pût se rattacher un gouvernement disposé à corriger celles des lois qui sont contraires à l’influence morale de l’Église et à n’en pas proposer de nouvelles. » À quoi peut-on s’apercevoir que cette politique ait réussi ou puisse réussir ? Tout ministère tomberait en France par le fait même qu’il paraîtrait se comporter envers l’Église