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Bismarck. Mais ici encore, le mécontentement entre pour quelque chose, et sa propre rancune contre le chancelier de fer rend à M. Geffcken cette concession plus facile.

À peine arrive-t-il au différend des Carolines qu’il perd toute sérénité, toute droiture de jugement. Il reproche amèrement à Léon XIII de ne s’être pas conformé à la parole du Seigneur : « O homme ! qui est-ce qui m’a établi sur vous juge et arbitre ? » Il lui reproche d’avoir « prêché dans le désert » en « offrant ses services » aux princes catholiques dont aucun n’avait auparavant a pensé à lui soumettre ses affaires. » Maintenant c’était un « tout-puissant ministre protestant. » C’était M. de Bismarck qui « venait réaliser le rêve du pape » d’être institué arbitre sur les nations. Mais M. Geffcken ne croit pas qu’au fond le pape « y ait gagné grand’chose. » Le docteur qu’on ne tue jamais, lorsqu’on a l’honneur de le porter en soi, se réveille triomphant en M. Geffcken. — Et d’abord, s’écrie-t-il, comment le pape aurait-il pu juger « d’après les principes établis du droit international ? Comment aurait-il méconnu la bulle d’Alexandre VI, Inter cœtera, de 1494, qui partageait le Nouveau-Monde entre l’Espagne et le Portugal ? Et la bulle d’Innocent XII qui proclamait le droit de l’Espagne sur les îles Carolines, comment Léon XIII l’aurait-il méconnue ? » Point de droit. À présent, point de fait ou de politique. Comment le pape aurait-il pu donner raison à l’Allemagne protestante contre la catholique Espagne ? (Un peu plus loin M. Geffcken accuse Léon XIII de n’avoir pas défendu la catholique Irlande contre l’Angleterre protestante, mais on a déjà vu qu’il n’en est pas à cela près, qu’une contradiction l’arrête.)

Au résumé, si, pour le différend des Carolines, M. Geffcken en veut au souverain pontife : 1° d’être intervenu ; 2° d’avoir prononcé en faveur de l’Espagne, — pour le septennat militaire, il lui en veut uniquement d’être intervenu. « C’était contre la tradition de la Curie de s’immiscer dans les affaires intérieures » des États. Et néanmoins, le 3 et le 23 janvier 1887, le cardinal secrétaire d’État, dans deux lettres adressées à Mgr Angelo di Pietro, nonce apostolique à Munich, exprimait le désir de voir le centre voter pour la loi sur le septennat. Le centre ne se soumit pas. Mais Léon XIII, à l’avis de M. Geffcken, avait commis une grande faute. Il avait « rompu avec une tradition séculaire de la Curie et que lui-même avait toujours maintenue. » Il avait repris le raisonnement d’Innocent III, expliquant son intervention dans des questions séculières : Non quia judico de feudo, sed quia judico de peccato. Sous le couvert de ce raisonnement, tous les empiétemens devenaient possibles, et M. de Bismarck, lui aussi, avait commis une grande