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se soutenir[1]. » M. de Saint-Julien, ayant été désarmé de son épée en arrivant à l’hôtel du commandant, était sorti pour aller chercher un sabre. Comme il revenait, « il fut assailli sur la place, renversé par terre et blessé de plusieurs coups. Il allait périr, quand un officier de la garde nationale et un brave volontaire, au péril de leur propre vie, l’enlevèrent à ses assassins[2], » au moment même où M. de Rions et les officiers qui se trouvaient avec lui dans l’hôtel s’élançaient courageusement à son secours, « aux risques de tout ce qui pouvait arriver[3]. » La situation devenait de plus en plus grave. Le commandant de la marine annonça l’intention d’appeler à son secours un détachement de troupes réglées, « le danger d’être attaqué et forcé dans l’hôtel paraissant devenir plus pressant[4]. » Le consul le supplia de n’en rien faire et de « mettre une confiance entière dans la milice nationale. » Le détachement du bataillon du Barrois fut donc décommandé, et la garde nationale enveloppa l’hôtel de toutes parts. M. de Rions crut d’abord avoir à se féliciter du parti qu’il avait pris de ne pas recourir aux troupes de la garnison : le peuple s’écarta et cessa de lancer des pierres. Mais bientôt des volontaires pénétrèrent dans la salle basse de l’hôtel, où se tenaient le commandant et une douzaine d’officiers, « armés de leurs seules épées. » Ils déclarèrent, « du ton le plus absolu, qu’ils voulaient que je leur livrasse M. de Broves, major de vaisseau, qu’ils accusaient d’avoir donné ordre aux détachemens de canonniers-matelots qui, le matin, s’étaient assemblés sur la place, de faire feu. Je niai le fait en les assurant, conformément à la vérité, que les armes n’étaient pas chargées. Tout fut inutile, et après avoir subi l’humiliation de toutes sortes de menaces pendant près d’un quart d’heure, je me vis forcé de leur livrer M. de Broves, sur les promesses les plus fortes qu’il ne serait maltraité en rien et qu’on voulait simplement s’assurer de lui. M. Morellet et M. Saurin, l’un colonel, l’autre major de la milice nationale, et un des trois membres du conseil permanent, qui m’avaient été envoyés par M. Roubaud, m’assurèrent qu’ils

  1. Déclaration de M. de Bonneval.
  2. Mémoire de M. de Rions.
  3. Ibidem. Le Mémoire de la ville affirme que M. de Saint-Julien avait, le matin, dans la bagarre qui s’engagea à la porte de l’hôtel, « répandu le sang d’un citoyen » d’un coup de canne à épée et qu’il portait son sabre nu à la main lorsqu’il fut assailli sur la place. C’est pour « prévenir l’usage qu’il pouvait faire » de cette arme, qu’on s’est jeté sur lui. Le peuple n’a fait qu’user du droit de légitime défense contre « celui qui le premier avait tiré le glaive. » Quant à l’agression dont M. de Bonneval était victime dans le même temps, le Mémoire de la ville, à court sans doute de sophismes pour justifier un pareil acte, la passe simplement sous silence.
  4. Mémoire de M. de Rions.