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« Les capitaines n’enrôlleront personne dans leur compagnie au-delà du nombre fixé par le règlement de leur création, surtout aucun ouvrier de l’arsenal, qu’il ne faut point détourner des travaux du port[1]. » En dépit de cette défense, plusieurs fois répétée, nombre d’ouvriers élevaient la prétention, non-seulement de faire partie de la garde nationale, mais d’en porter jusque dans l’arsenal les insignes, particulièrement une sorte d’aigrette qu’on appelait alors le pouf. Fort des instructions du gouverneur, le commandant de la marine s’opposa à cette prétention. On ne manqua pas de déclarer aussitôt qu’il voulait empêcher de bons citoyens de « s’armer pour la patrie[2]. » Vers la même époque, le bruit courut que des troupes avaient reçu l’ordre de se rendre de Digne à Toulon pour renforcer la garnison. « D’où vient que dans le temps où nous dormions tranquilles, des troupes réglées auraient été en marche contre nous ? La faulx de la mort était donc sur non têtes et nous n’en savions rien ! C’est sur ce ton tragique que les auteurs du Mémoire de la ville de Toulon rapportent une nouvelle qui, d’ailleurs, était fausse[3].. Manifestement, une exaltation voisine de la démence s’était emparée des esprits. L’atelier d’artillerie ayant reçu l’ordre de confectionner un certain nombre de gargousses, nécessaires à l’armement de la flotte, nul ne douta plus que le commandant de la marine ne procédât à tous « ces préparatifs de mort et de destruction[4], » dans l’intention de « foudroyer la ville[5]. »

Les choses en étaient là lorsque, le 30 novembre, M. de Rions chassa deux ouvriers qui, au mépris des ordres donnés, s’obstinaient à porter le pouf dans l’arsenal. Cette mesure n’a besoin ni d’explication, ni d’excuse, puisqu’en la prenant, M. de Rions se conformait simplement aux instructions données par le gouverneur de la Provence. Il n’en fut pas moins accusé d’avoir commis « un éclatant abus d’autorité[6]. » Le jour même, le consul Roubaud,

  1. Lettre du même aux mêmes, du 24 novembre. (Archives municipales de Toulon.) Mêmes instructions aussi précises, dans une lettre du 25. «… La milice nationale, suffisamment complétée par les volontaires qui la composent, n’admettra point dans son service les ouvriers du port, qu’il importe de laisser à leur travail… »
  2. Brochure du temps intitulée : Fragment d’un mémoire relatif à l’affaire de Toulon, p. 2.
  3. Mémoire de la ville de Toulon, p. 35.
  4. Ibid, p. 32.
  5. Ibid., p. 32.
  6. Ibid., p. 35.