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des projets violens[1]. » En conséquence, a le corps délibéra de rejeter, attendu l’offense, l’accommodement proposé et de demander justice et satisfaction à l’assemblée nationale par une députation expresse[2]. »

La susceptibilité manifestement excessive dont venait de faire preuve la milice citoyenne compliquait singulièrement l’affaire. Au mauvais procédé dont on usait envers lui, M. de Rions eut la sagesse de répondre par un acte de modération et de courtoisie. Il écrivit que, u s’il lui était réellement échappé des expressions susceptibles d’être mal interprétées, son intention n’avait point été d’offenser personne[3]. » Cette nouvelle satisfaction, — qui cependant avait dû coûter cher à la fierté de celui qui l’accordait ! — ne parut pas suffisante, et la députation partit pour Paris le 20 novembre[4]. La guerre était déclarée, — et pour quel futile objet ! — entre la garde nationale et le commandant de la marine. Ce conflit n’aurait peut-être pas mérité d’être exposé en détail, si de très minces incidens ne portaient quelquefois en eux-mêmes des enseignemens singulièrement suggestifs. Or, dans cette querelle de M. de Rions avec la population toulonnaise, on peut saisir sur le vif l’esprit ombrageux et tracassier, les préventions dont étaient animées, à l’égard des chefs militaires, la garde nationale et les municipalités dès les premiers mois de la révolution. L’histoire de

  1. Mémoire de la ville de Toulon, p. 30.
  2. Ibid.
  3. Voici le texte complet de sa lettre adressée à la municipalité : « Messieurs, il me revient de toute part qu’on m’impute d’avoir tenu des propos peu mesurés sur MM. de la milice nationale… Je fus surpris hier, je devais l’être, de voir arriver chez moi M. le consul accompagné d’un cortège aussi nombreux, à six heures du soir et sans en avoir été prévenu. Ma surprise a été d’autant plus grande que je ne devais pas m’attendre, après ce qui s’était passé avant-hier, qu’il serait encore question de cette affaire. Si, dans mon étonnement et la tête encore pleine du travail qu’on me forçait d’interrompre, il m’est réellement échappé des expressions susceptibles d’être mal interprétées, je désavoue tout ce qu’elles peuvent avoir d’offensant, mon intention n’ayant pas été et ne pouvant pas être d’offenser personne. J’ose croire avoir assez bien mérité de la ville et de ses citoyens et que mon caractère est assez connu, pour qu’on ne doive pas douter de l’assurance que j’en donne ici. Nous avons tous besoin de la paix et de la tranquillité, et personne ne les désire plus que moi. On sera injuste toutes les fois qu’on me jugera ou mes démarches d’après d’autres sentimens. J’ai l’honneur d’être, avec un très respectueux attachement, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : Comte d’Albert de Rions. » (Archives municipales de Toulon, lettre du 18 novembre 1789.)
  4. « Le corps de la garde nationale de Toulon ayant pris connaissance de la lettre que M. le comte d’Albert a écrite à MM. les consuls désire que rien n’arrête la députation qui a été délibérée le 18 du courant auprès de nos seigneurs de l’Assemblée nationale… aux fins d’obtenir la satisfaction que l’offense faite par M. d’Albert aux volontaires peut mériter. » (Archives municipales de Toulon. Délibération de la garde nationale du 19 novembre 1789.)