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grands artisans des guerres civiles. Ceux qui ont reçu quelque instruction ne sauraient se contenter du sort des Indiens ; ils ont leur fortune à faire ; or l’idéal de vie que leur sang espagnol et indien leur inspire est tout l’opposé de ce type du peaceful and law-abiding citizen qui résume le cant des États-Unis contemporains. Les métiers d’art sont pour eux un pis-aller ; ils sont à peu près impropres au commerce et à l’industrie où, jusqu’à présent, les étrangers dominent exclusivement. Être prêtre, avocat, employé du gouvernement, fonctionnaire, officier, voilà l’idéal de tout Mexicain illustrado, c’est-à-dire sachant lire et écrire. Du temps des guerres civiles, les pronunciamientos leur offraient une carrière sans limites. Tout homme brave, — et ils ont toujours abondé au Mexique, — venait facilement à bout de lever dans son village une petite bande, et, à la condition de ne pas être fusillé du premier coup, de savoir changer à temps de parti, il devenait sûrement général. Presque tous les officiers étaient et sont encore des métis. Les Indiens leur fournissent des soldats avec une docilité due à la fois à l’instinct indestructible du sang, qui leur fait tout préférer au travail régulier de la terre ou des métiers, et à la survivance indélébile des plus anciennes conceptions sociales de la race.

Au fond, les Indiens en sont toujours aux mêmes idées qu’au temps de Montezuma : des caciques et des prêtres dans leur village, un empereur au sommet. Le grand mérite des Espagnols avait été de respecter cette constitution naturelle en l’améliorant : l’empereur de Mexico était représenté par le vice-roi, et, dans chaque pueblo, dans chaque mission, un curé ou des frailes remplaçaient les prêtres sanguinaires d’autrefois. Voilà pourquoi une si grande paix régnait au Mexique. Le brigandage était inconnu et des convois d’argent pouvaient circuler dans tout le pays sous la seule protection d’un pavillon royal. Quand le pouvoir suprême et indiscuté exercé au nom de la couronne d’Espagne eut disparu, quand les moines eurent été renfermés dans leurs couvens en attendant d’être chassés et qu’on eut essayé de remplacer cette constitution traditionnelle par une importation du droit administratif français et du droit constitutionnel américain, les Indiens perdirent leur assiette morale et furent à la merci de tout cabecilla audacieux qui levait une bande. Il trouvait toujours des individus prêts à le suivre et à lui obéir aveuglément jusqu’au jour où il était vaincu ; ses hommes passaient alors immédiatement et sans difficulté du côté du vainqueur.

De 1810 à l’avènement de Porfirio Diaz, le Mexique s’est trouvé ainsi livré à la guerre civile d’une manière intermittente et au brigandage d’une manière continue. Après tout, les bandes de brigands