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espèces, habités par les franciscains qui sont seuls à représenter l’Eglise romaine, par les grecs catholiques, par les orthodoxes, par les arméniens, par les syriens, chacun préposé à la garde de certaines reliques. Mais dans cette pétaudière sacrée, parmi tous ces gîtes religieux, le plus extraordinaire est celui que j’ai découvert sur le toit, en plein air, au-dessus des combles abandonnés où Louis-Philippe et Napoléon III sourient officiellement dans des cadres d’or. Là-haut, sur une terrasse, nichent les coptes, les moines noirs d’Abyssinie, logés dans des cases africaines, sorte de village nègre où l’on vanne du blé, où des poules picorent. Guidé ou plutôt harcelé par un religieux, sorte de mendiant à face plate, j’entrevois l’intérieur de quelques cases : toutes petites, obscures, sordides. Dans un de ces taudis, sur un grabat, un nègre est vautré à demi-nu. Tout près des vieilles à peau noire, couvertes de loques, sont des religieuses dont les huttes se mêlent à celles des moines. Et tout ce misérable monde qui gîte là, et vit en commun sur ce toit du Saint-Sépulcre, représente le christianisme nègre dont la petite place est marquée à côté des autres rameaux puissans ou avortés de l’arbre qu’a planté le Christ.

En bas, dans les grandes chapelles dorées, sous les voûtes spacieuses, l’Église grecque est souveraine. L’amour de la relique, le culte des objets, des choses tangibles, poussent les orthodoxes par milliers dans ce pays où tant de pierres sont vénérables à cause du souvenir. De tous les points de la grande terre russe, ils peuvent toujours drainer de l’argent pour acheter et occuper en maîtres les lieux saints. — Dans l’ombre qu’enveloppent les voûtes, dans les labyrinthes des escaliers et des corridors, sous la grande coupole qu’ils possèdent, on reconnaît leur prédominance aux ors byzantins, aux icônes fabuleuses, aux vierges plus grandes que nature, découpées dans des plaques de métal blanc, hiératiques et rigides comme les vieilles figures de l’art chrétien d’Orient, à toute cette décoration métallique, à ce triomphe de l’image, à ce rayonnement d’or et d’argent qui, dans cette vague obscurité, à l’heure indécise où la nuit tombe, me rappellent un temple de Bouddha à Ceylan et le culte du soir.

Des pèlerins venus de la Russie accomplissent les gestes rituels, pauvres moujiks maigres, aux longs cheveux, qui se traînent à genoux d’un autel à l’autre dans le silence et l’ombre, comme des larves misérables. Il y a une grande intensité soumise dans ce prosternement douloureux ; une ferveur humble et naïve rayonne dans ces yeux clairs d’hommes du nord. Les gestes ne sont pas rapides, quelconques comme chez nous, mais minutieux, orientaux, assujettis comme ceux des musulmans et des Hindous à une formule précise. À genoux, le tronc renversé en arrière, la figure au ciel,