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on respire la règle et la quiétude dans ces longs corridors droits, dans ces dortoirs où s’alignent sous le geste d’un grand Christ les lits étroits des petites pensionnaires ! Comme on est reconnaissant de l’accueil que vous fait une vieille femme française, au teint de rose fanée entre les ailes pures de sa coiffe de lin, un sourire sur ses lèvres minces, toute gracieuse et patricienne, dans la dignité de sa robe de bure où pendent, avec un rosaire, des clés et des ciseaux !


Nous arrivons dans une cour carrée, sorte de sac où viennent tomber deux ruelles aveugles. Là, sur le mauvais pavé, des Arabes se chauffent au soleil, des mendians dorment, des popes chevelus somnolent ou passent. — Est-ce bien là le parvis du Saint-Sépulcre, de la vieille église franque dont l’Europe a tant rêvé ? Comme elle est pauvre et délabrée ! Comme cela sue la vétusté, la misère, l’abandon en pays conquis, l’éloignement de l’Europe active ! Est-il possible qu’au fond de cette triste cour, nous soyons bien sur ce Golgotha, sur ce Calvaire que l’on imaginait profilé sur le ciel, au-dessus de la ville cruelle, comme un piédestal de sacrifice, comme un échafaud tragique !

À l’intérieur, on est très désorienté ; on s’attendait à trouver une basilique, avec ses grandes lignes, sa nef principale, ses chapelles symétriques, et l’on erre dans un dédale obscur de coupoles, d’escaliers, de corridors, de cryptes et de chapelles, chapelles syriennes, latines, romaines, coptes, grecques, chacune entourée de sa légende, enveloppée de ses souvenirs sacrés, — ténébreuses ; les unes, abandonnées, moisies, leurs mosaïques délabrées, leurs vieux ors éteints, comme si, oubliées, enfouies pendant des siècles, on venait de les dégager à coups de pioche ; les autres rayonnantes d’icônes, de cierges et de lampes. À côté des sculptures byzantines, des tombeaux gothiques et des saintes images russes, miroitent les orfèvreries religieuses de la place Saint-Sulpice. Tout cela monte et descend au hasard, et l’on comprend enfin que l’on n’est pas dans une église, mais sous une toiture, sous une carapace commune qui, recouvrant au milieu de la ville exhaussée la pente primitive du Golgotha, isole et abrite les lieux sacrés que révèrent tous les cultes chrétiens. Des escaliers semblent conduire à quelques souterrains et tombent dans des chapelles que l’on ne soupçonnait point, que hantent des prêtres arméniens dorés comme des idoles. D’autres montent en labyrinthe, comme pour grimper dans les combles, et débouchent devant de nouveaux autels où l’on vous fait vénérer, en le touchant au fond d’un trou, le roc où fut plantée la croix. — Quelquefois, tout d’un coup on arrive devant le vide ; au-dessous d’une balustrade circulaire, une coupole