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animer tout, hanté par les vieux qui s’y rencontrent pour y disputer, pour y ergoter, pour y conférer, pour y dormir et y rêver, tout près de l’école où les petits juifs pâles, en robes et en bonnets de coton, apprennent à déchiffrer les caractères antiques des livres sacrés.

L’intérieur du temple est pauvre et nu. Pour seule décoration sur le plâtre blanc, les lettres carrées des versets hébraïques. Point de service ; mais des octogénaires sont là, sur des bancs de bois, dispersés sans ordre dans la maison commune, assis au hasard dans tous les sens, tournant le dos au tabernacle, — somnolant les uns, psalmodiant les autres, — leurs tomes de cuir, leurs Pentateuques antiques tremblant entre leurs mains tremblantes. Ils lisent avec des coups de voix imprévus, se balançant selon le rite, avec des secousses brèves de l’échine. Sur le même banc, deux voisins qui semblent avoir au moins cent ans, la pointe de leurs crânes coiffée d’un minuscule bonnet, ont des yeux perçans de faucon, des visages de très vieux oiseaux de proie. Vite, vite, tournés l’un vers l’autre, ils psalmodient, les deux sorciers, avec une rapidité de fièvre, avec des secousses de leurs maigres corps, avec des gutturales sèches, de petits cris âpres et irrités, de plus en plus vite, rapprochant leurs vieilles têtes, se fouillant du regard, glapissant les versets et les répons d’une extrême voix de fausset. Cela fait un dialogue frénétique, exalté, entre ces deux anciens de Juda qui rappellent les intransigeans, les fanatiques d’autrefois, les dévots du rite dont la foule ardente proférait des cris de mort contre l’apôtre des Gentils.


On laisse là les quartiers juifs et arabes, on traverse quelques rues voûtées et l’on entre dans la Jérusalem chrétienne, la vraie, la muette, l’immobile, celle sur qui pose le grand souvenir, la morte que la foule arabe ne réveillera jamais, saisissante à côté de ce grouillement de vermine qui l’entoure comme un cadavre tranquille. C’est autour de la voie douloureuse, entre les vieux couvens, les refuges de pierre grise où les vierges d’Europe, les « filles de Sion, » viennent prier. Petites rues montantes où l’on est bien le soir pour rêver comme à Bruges, comme dans nos anciennes cités monacales, petites rues aux pavés ronds, à jamais désertes entre les vieux débris d’arcs romains, entre les hautes murailles solennelles, où la paix habile avec l’ombre du passé, où le silence est caressé par le tintement des cloches qui sonnent les heures d’office. O la fraîcheur et le calme de ces cloîtres, après la cohue et la chaleur des bazars, l’apaisement que versent ces grandes salles spacieuses, ces hautes ogives entre-croisées, ces murs épais, blanchis de lait de chaux ! Comme