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défendu, par exemple, d’exercer de piquantes représailles à l’égard de M. le président du conseil en lui déclarant qu’il pouvait faire appel tant qu’il le voudrait à la concentration républicaine, que cela ne l’empêcherait pas, lui M. Piou, de le seconder, lui M. Ribot, lorsqu’il aurait à défendre un intérêt public, un principe de gouvernement. « Toutes les fois que M. le président du conseil aura besoin de nous pour battre ses amis… pour se faire une majorité contre la majorité, a-t-il ajouté spirituellement, il nous trouvera. » Et de fait, c’est ce qui est arrivé plus d’une fois depuis deux mois, — que le gouvernement a eu besoin des constitutionnels, des conservateurs, pour avoir une majorité contre ses amis les radicaux.

Au fond, ce qu’il y a de plus clair à travers ces contradictions, et ces confusions du jour, c’est le sentiment croissant, impatient, d’une situation faussée et déprimée. Ce n’est pas la république qui est en cause, — c’est le système, c’est la politique qui a créé cette situation d’où on aspire aujourd’hui à sortir. Et c’est là, à tout prendre, l’explication la plus plausible de ce mouvement instinctif qui vient de porter le sénat à se donner M. Jules Ferry pour président. Ce serait certainement une puérilité de voir dans cette élection un complot, quelque intrigue savante ou obscure. Quel complot peut-il y avoir lorsque tout a été imprévu dans cette démission de M. Le Royer, qui était président depuis dix ans et qui venait d’être réélu il y a moins de deux mois ? Ce serait aussi vraisemblablement une simple méprise de croire que le sénat, dans un sentiment généreux de réparation, a voulu relever tout à coup celui qui a expié par une longue disgrâce publique l’impopularité attachée à son nom. Le fait est que les souvenirs du passage au pouvoir de M. Jules Ferry sont restés très mêlés. La conquête du Tonkin et surtout la manière dont elle s’est accomplie et tout ce qui se rattache à cette entreprise n’ont encore rien de populaire en France. Les emportemens de l’auteur du fameux article 7 dans les affaires religieuses n’ont rien de libéral, — et la chute du ministre de 1885 en plein parlement, sous un vote flétrissant, est restée un des plus mémorables exemples de la défaillance d’un chef de cabinet qui s’effondre plutôt qu’il ne tombe. Il n’y a aucune raison de réhabiliter ce passé ! Non, en vérité, ce n’est point cela. Si M. Jules Ferry reparait aujourd’hui au premier rang dans nos affaires, c’est parce que, malgré tout, malgré ses fautes et des inégalités frappantes, il a laissé l’impression d’un homme qui a plus que tout autre le sentiment des nécessités publiques, des conditions du gouvernement, d’un certain ordre dans l’État. C’est tout simplement la signification de ce choix, et M. Jules Ferry lui-même, en prenant hier possession de la présidence, a tenu à rester dans la vraie mesure : mettant sans doute une certaine fierté à saluer un vote qui clôt pour lui « une longue épreuve, » mais écartant tout ce