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doctrine fort raisonnable, à la condition que les colons le soient eux-mêmes, qu’ils ne réclament que leur dû et qu’ils consentent à s’imposer certains devoirs. Ils représentent dans ce monde un genre particulier de courage, l’esprit d’initiative et d’entreprise, l’art d’oser, de risquer à propos et avec sagesse. Le meilleur service qu’on puisse leur rendre est de leur assurer une liberté d’action, qu’ils n’auraient jamais connue s’ils étaient restés chez eux. Mais s’ils retrouvent sur le sol étranger une bureaucratie gourmée et vétilleuse, la fureur des règlemens, les gênes de la centralisation, la tyrannie des méthodes officielles, la superstition de la sainte routine, les lenteurs et l’incohérence des mesures administratives, les défiances d’une autorité ombrageuse qui entend que rien ne se fasse sans son aveu, les colons ne sont plus des colons, mais des administrés dont le principal souci est de se mettre en règle avec leurs maîtres. Aussi rien n’est plus contraire à la vraie colonisation que. la multiplication des fonctionnaires. Les sinécuristes tiennent à prouver qu’ils servent à quelque chose, et n’ayant rien d’utile à faire, ils suscitent des difficultés sans raison, ils mettent leur gloire à se rendre aussi incommodes que les mouches et les moustiques, ils se mêlent de tout pour tout empêcher. Ce sont des tracassiers, des gêneurs payés par l’État ou la commune, qui gagnent leur argent en défendant aux autres d’en gagner.

Quand le colon n’a plus le droit d’oser et d’entreprendre, il demande à l’administration qui le gêne de le dédommager en l’assistant. « Je dépends de vous, lui dit-il, et en toute rencontre vous me faites sentir ma dépendance ; si je ne suis pas libre, protégez-moi. » Et il prend l’habitude de compter sur l’État pour lui venir en aide, pour le secourir dans ses embarras et ses détresses. L’État ne doit au colon que la sécurité et les moyens de communication, les travaux d’utilité publique qui lui facilitent ses entreprises. Mais le colon dont on règle et contrôle tous les mouvemens ne s’en tient pas là ; il devient fort exigeant, il demande que l’État se considère comme responsable de ses échecs, de ses malheurs, il est toujours prêt à tendre la main, il pense avoir droit à l’assistance, et il parle sans cesse de ses droits.

M. Ferry remarque fort justement que le colon français croit faire acte de vertu civique en quittant la terre natale, qu’il voit dans la mère patrie moins une bienfaitrice qu’une obligée, « que ce tour d’esprit qui, même aujourd’hui, se retrouve au fond de toutes les revendications algériennes, a fait des générations de mécontens. » J’incline à croire que cette disposition fâcheuse serait moins générale si le colon français se sentait moins administré, si on l’autorisait à marcher sans lisières. Un tuteur ne doit-il pas appui et protection à ses pupilles ? Dans le rapport qu’il présentait l’an dernier à la chambre, M. Burdeau formulait en termes précis la règle qui doit présider à l’établissement du budget de l’Algérie. « Il faut, disait-il, que désormais à de nouvelles