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indigènes multiplient, que nos colons dépassent aujourd’hui en nombre les autres colons européens, que la production des céréales s’est accrue en vingt-cinq années de 60 pour 100, que, de 1878 à 1892, le vignoble algérien a passé de 17,000 hectares de superficie à 150,000, « que la plaine de Mitidja, que les vieux Algériens ont connue à l’état de marécage et d’ossuaire, rivalise aujourd’hui par l’opulence des produits et le soin des cultures avec les plus riches cantons de la basse Normandie. » Il n’en faut pourtant pas conclure que peu importent les institutions, que, bien ou mal administrées, les colonies finissent toujours par se tirer d’affaire. « On vit, on prospère même sous des gouvernemens médiocres, comme ces êtres vigoureux qui s’accommodent d’organes imparfaits ; mais le danger est de voir, sans qu’on s’y attende, le médiocre verser tout à coup dans le pire. » On a quelquefois dans ce monde d’agréables surprises ; ce n’est pas une raison pour négliger les précautions et s’exposer aux surprises déplaisantes.

Ce qui fait le plus de tort aux colonies, c’est la mauvaise politique, et ce qui est commun à toutes les mauvaises politiques, c’est une tendance marquée à sacrifier l’intérêt général aux intérêts particuliers. Certains politiciens estiment que les colonies ne sont destinées qu’à procurer des places à ceux qui n’en trouvent pas chez eux, que le gouvernement doit s’en servir, soit pour distribuer de bons postes et de grasses prébendes à des ennemis dont on désire se concilier la bienveillance, soit pour récompenser des services ou consoler des amis qui ont essuyé des infortunes électorales. Une fois casés, ces personnages sont tenus de placer à leur tour tous les protégés de la coterie qui les a poussés, et à cet effet ils créent une foule de sinécures, en ne demandant aux sinécuristes que d’avoir de bonnes opinions et le désir de les propager. On arrive ainsi à ce beau résultat que dans certains endroits il y a plus de fonctionnaires que de colons.

Quand M. Paul Cambon était ministre-résident à Tunis, rien ne lui attira plus d’ennuis, plus d’injures, plus d’inimitiés secrètes ou déclarées, que son refus de procurer un gagne-pain à tous les aventuriers qui assiégeaient sa porte. La régence étant soumise au régime du protectorat, il lui était plus facile d’éconduire les quémandeurs ; mais personne ne niera que la multiplication miraculeuse des offices inutiles, des fonctionnaires qui ne servent à rien, ne soit une des plaies de l’Algérie. M. Jonnart le disait dans la séance du 7 février, nombre de communes algériennes ont un goût excessif pour les dépenses superflues et irrégulières, et tout cet argent est gaspillé en traitemens de toute sorte, « alloués à une légion d’employés communaux, qui, ajoutait l’orateur, sont les véritables sauterelles de l’Afrique. »

Ceux qui pensent que les colonies sont des bureaux de placement se contentent de le penser, sans oser le dire. Mais il est permis de dire tout haut que les colonies sont faites surtout pour les colons. C’est une