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de la colonie a été transportée d’Alger à Paris et confiée aux bureaux de la métropole. Qu’est devenu le gouverneur ? Il a conservé un droit d’avis, un droit de visa sur la correspondance des préfets avec les ministres. En réalité, il n’est plus qu’un grand préfet, « décorativement superposé aux trois autres, mais sans autorité réelle sur des fonctionnaires qui possèdent plus de pouvoirs substantiels que lui-même, » qui ont plus de décisions à prendre, plus de places à leur nomination. « On ne peut imaginer sous des formes plus douces, plus courtoises, plus engageantes, un pouvoir mieux décapité. »

Le régime des rattachemens a produit de fâcheux résultats, et on s’occupe aujourd’hui de le réformer. Le sénat avait nommé une commission d’étude des questions algériennes, dont M. Jules Ferry a exposé et résumé les conclusions dans un rapport aussi remarquable par l’élévation des vues que par la solidité et la vigueur du raisonnement[1]. Dans les mois d’avril et de mai de l’an dernier, les membres de la commission sénatoriale avaient visité les trois provinces. Comme le dit M. Ferry : « Ils ont vu beaucoup et beaucoup écouté. Ils n’ont pas borné leur enquête aux façades de la colonie, à nos villes du littoral, petites ou grandes, dont le rapide essor éblouit les yeux ; ils ont pénétré jusqu’au fond du Tell et parcouru les pays forestiers ; ils sont allés chercher le colon chez lui. Ils n’ont pas fait un voyage à la Potemkin. D’ailleurs, en Algérie, il n’y a pas de Potemkin. Tout le monde se plaint et appelle à l’aide. » Ce qui prouve que ce travail n’a point été inutile, c’est qu’à la chambre des députés aussi, tout récemment, la question algérienne a été posée. Dans la séance du 7 février, le rapporteur du budget de l’Algérie, M. Jonnart, a prononcé un instructif et éloquent discours et démontré que tout n’est pas pour le mieux dans notre colonie méditerranéenne. De son côté, M. le président du conseil, tout en constatant « que, par une pente naturelle, on va à la critique plus qu’à l’éloge, » a donné au fond raison à la critique, et il est permis de croire qu’avant peu les décrets de 1881 seront révoqués.

Ce qui doit rendre indulgent pour les fluctuations et les incohérences de la politique coloniale, c’est que les colonies sont un monde variable et muable, qui se transforme en peu de temps. Les besoins, les intérêts changent avec les situations, et quand les besoins ont changé, il faut bien que les lois et les règles changent aussi. On ne gouverne pas des adolescens et surtout des adultes comme on gouverne des enfans, et l’enfance des colonies est un âge très court. Au surplus, les voyageurs étrangers ont constaté plus d’une fois qu’en dépit des erreurs commises, l’Algérie ne laisse pas de prospérer, et les Français auraient mauvaise grâce à n’en pas convenir. M. Ferry est le premier à reconnaître que, quels que soient leurs justes griefs, les

  1. Le Gouvernement de l’Algérie, par M. Jules Ferry ; Colin et C°.