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hauts dignitaires et les chefs. Elle tenait à la main un papier qu’elle leur lut. Il contenait ces mots :


Princes, nobles et représentans,


« J’ai entendu les vœux de mes sujets et je suis prête à y faire droit. La constitution actuelle est défectueuse. Nul ne le sait mieux que le président de la cour suprême, ici présent, et auquel, maintes lois, les chambres ont dû s’adresser pour en interpréter les clauses. Aujourd’hui même, j’espérais vous en soumettre une autre, conforme à vos désirs et aux miens. Mais c’est avec un regret profond que j’en suis empêchée par la résistance de mes ministres. Je vous invite à vous retirer, à rentrer paisiblement chez vous. Vous avez ma promesse et je la tiendrai sous peu. Maintenant, il me faut conférer avec mes conseillers. À bientôt, je l’espère, et ne doutez jamais de mon affection pour vous. »

C’était sa défaite, inexplicable pour ses officiers et ses soldats, pour la foule qui l’acclamait, l’encourageait à la résistance, pour ses partisans qui l’entouraient. Ils ignoraient ce qu’elle venait d’apprendre ; à savoir que le navire de guerre américain Boston entrait dans le port et qu’à la requête de John L. Stevens, ministre résident des États-Unis à Honolulu, le commandant Wiltz donnait l’ordre à 300 hommes d’infanterie de marine et deux batteries Gatling de débarquer.

Dès le lendemain, les insurgés proclamaient la déchéance de la reine, la constitution d’un gouvernement provisoire composé de MM. S.-B. Dole, J.-A. King, P.-C. Jones et W.-O.-Smith, chefs du parti américain, et la nomination de cinq commissaires, chargés de se rendre à Washington pour solliciter du gouvernement américain l’annexion de l’archipel. Ces derniers s’embarquaient à bord du vapeur Claudine, laissant la reine prisonnière dans son hôtel particulier, et Honolulu, aux mains des troupes américaines et des compagnies de volontaires. Invités à reconnaître le gouvernement insurrectionnel, les représentans étrangers y avaient, dit-on, consenti, sauf le consul-général d’Angleterre. Parmi les indigènes, l’exaspération était à son comble, mais le désarmement immédiat et le licenciement des troupes de la reine, sa captivité et la présence du Boston paralysaient toute velléité de résistance, que déconseillait d’ailleurs la proclamation suivante de Liliuokalani à ses sujets :

« Moi, Liliuokalani, par la grâce de Dieu et la volonté du peuple, reine des îles Havaï, je proteste contre la violence qui m’est faite et contre les actes du prétendu gouvernement provisoire qu’un parti insurrectionnel a proclamé.