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toucher, et avoir reçu un acompte de 500,000 francs en assignats, Beaumarchais se trouva accusé de spéculer bassement sur l’affaire et de manœuvrer pour se faire acheter les armes à plus haut prix par les étrangers ; que le triumvirat qui lui prédisait que « son cou y passerait, » réussit à le faire enfermer à l’Abbaye, dont il ne sortit que trois jours avant les massacres, grâce à Manuel et à une amie trop commune ; que Lecointre, complètement dupe des « vilenies bureaucratiennes, » le faisait décréter d’accusation par la Convention, le 28 novembre 1792, avec les épithètes les plus forcenées ; qu’enfin Beaumarchais osa venir lui-même à Paris, au début de 1793, pour plaider sa cause, après s’être fait précéder de son mémoire des Six époques, tiré à six mille exemplaires. C’est le reste qui est demeuré trop obscur. Les commissions secrètes et les dénonciations solennelles, les mesures vexatoires et les décrets contradictoires dont Beaumarchais et les siens ont été victimes, de 1793 à 1796, ont paru louches, et le rôle de Beaumarchais pendant cette dernière période est resté suspect pour plus d’un historien consciencieux de la révolution. Nous pouvons le tirer rapidement au clair, à l’aide des documens officiels et des mémoires inédits que Beaumarchais multiplia à cette occasion. Ces derniers d’ailleurs ne sont pas intéressans seulement par rapport à leur auteur.


IV

La Convention décrète, le 10 février 1793, « qu’il sera sursis, pendant deux mois, à l’exécution du décret d’accusation (celui du 28 novembre 1792) lancé contre le citoyen Caron Beaumarchais et que, pendant ce temps, il fournira ses défenses afin que la Convention nationale prononce définitivement. » Beaumarchais arrive, dès qu’il peut quitter la prison anglaise du Banc du roi, où il était retenu pour dettes, et il fait si bien qu’il convainc de son innocence ses deux rapporteurs : Lecointre d’abord et Bergoing le « girondiste, » qu’on donne pour successeur à Lecointre, avant le dépôt du rapport. Ce dernier, secret et favorable, est communiqué au comité de Salut public, qui fonctionnait depuis le 10 avril et qui, sur la proposition de Danton et de son ami et fidèle Lacroix, convoque Beaumarchais. Le 22 mai, le redoutable comité, par une délibération que nous avons sous les yeux, avec les signatures autographes de Guyton, Cambon, Bréart, Delacroix (sic), Barrère, R. Lindet, Delmas et Danton, renouvelle à Beaumarchais sa mission. Cette seconde mission consiste à faire entrer, dans nos arsenaux, 922 caisses et 22 tonneaux contenant 52,345 fusils avec leurs baïonnettes ou mousquetons, ou paires de pistolets, déposés dans