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doute ce mot d’ordre, avec les autres, si même elle ne le donna pas, s’en souvint-elle le jour où, dans sa prison du Temple, un serviteur dévoué lui nomma Beaumarchais parmi les seuls hommes capables de « ramener le peuple à des sentimens plus doux envers la famille royale ? » Mais, hélas ! lui-même était alors fort occupé à défendre sa tête, et on ne sait pas bien encore comment il y réussit. C’est ce miracle, comme disait Sainte-Beuve, qu’il nous reste à expliquer.


III

M. Alexandre Dumas fils écrivait un jour cette éloquente boutade dont l’exagération est singulièrement atténuée par les audaces inédites que nous venons d’exhumer : « Si Beaumarchais, en jetant le Mariage de Figaro au nez de son époque, n’a pas aidé au mouvement des idées et des faits extérieurs au théâtre, s’il n’a pas été révolutionnaire et émeutier comme un journaliste ou un tribun, comme Camille Desmoulins ou Mirabeau, je reconnais avec vous que je ne sais pas ce que je dis. » Ainsi pensait Beaumarchais, et on le voit bien dans sa requête à la Commune de 17S9 où, énumérant, pour sa défense, « d’une âme vraiment citoyenne, » ses titres de précurseur de la révolution française, il n’a garde d’oublier son Figaro. Mais comment en était-il réduit à se défendre, dès le début de cette révolution dont il avait été un des plus incontestables ouvriers de la veille ? Sans entrer ici dans le détail du rôle de Beaumarchais sous la révolution, car il y faudrait un assez gros volume, qui serait tout nourri de documens inédits, rappelons seulement les faits indispensables à l’intelligence de celui que nous voulons éclaircir, et qui est l’affaire des fusils.

Les démêlés de Beaumarchais avec Mirabeau et Bergasse, dans deux procès retentissans, à la veille de la révolution, lui avaient suscité des ennemis acharnés dans les clubs. Dès la première heure, ces derniers, les Gorsas, les Colmar, les Michelin, etc., le dénoncèrent comme accapareur, et désignèrent à la colère du faubourg Saint-Antoine, comme une insulte à la misère publique, la luxueuse maison qu’il avait fait bâtir à l’entrée même de ce faubourg volcanique. On commença par casser les superbes bas-reliefs que Beaumarchais attribuait à Germain Pilon, et qu’il avait achetés lors de la démolition de la porte de Saint-Antoine pour en orner l’entrée principale de son hôtel. Aussitôt il saisit sa plume, et adresse une requête à « Messieurs du bureau de la ville, » pour obtenir la permission de construire une barrière « à plus de six pieds des sculptures, » qui les mette « hors de la portée d’un