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pli des terrains et la fuite des arbres, ou pour y rêver en écoutant la sourde germination de la vie latente, nous emporterons avec nous et mêlerons à notre propre sentiment quelque chose de votre émotion même, une vibration de votre être. » Il a beaucoup de formules originales et pleines, qui laissent sa marque sur les idées. Quoique, malheureusement, il se soit mépris sur la nature et les moyens de la critique de l’art, il se tient en garde contre l’abus de la description, qui sévit depuis son maître Diderot et qui, autour de lui, tient lieu de tout à ses confrères. Devant un tableau ou une statue, ce qu’il se propose, ce n’est pas de rivaliser avec le peintre ou le sculpteur dans la traduction du sujet, mais d’exprimer l’impression que l’œuvre éveille chez lui et qu’il veut communiquer à son lecteur. À ce point de vue, il observe une exacte et rare limite entre la description et l’appréciation. C’est qu’ici il reconnaît et constate une des infirmités de la critique d’art, a l’impuissance radicale dont est trappée la parole humaine quand il s’agit de rendre sensibles à l’esprit des beautés faites pour parler seulement aux yeux, » car « on ne peut faire comprendre par des mots l’harmonie d’une ligne, qui est presque toute la beauté de la sculpture, » ou « l’effet d’un ton près d’un ton, qui est presque toute la puissance de la peinture. » Que n’a-t-il eu cette vérité toujours présente à l’esprit et que ne s’est-il efforcé de faire comprendre, dans la mesure du possible, par quels moyens la peinture et la sculpture produisent chacune leur effet propre ! Il a entrevu dans ce passage le véritable but de la critique d’art ; mais, égaré par Diderot, il a vite abandonné ce point de vue pour faire, lui aussi, de la littérature à propos de l’art.

Pas plus que Thoré, en effet, Castagnary n’avait su échapper à l’influence de Diderot, et, chez lui, ce souvenir était devenu une hantise. L’aveu que Thoré nous faisait sur lui-même, M. Spuller le fait sur son ami, avec des restrictions, il est vrai, car il voit bien ce que cette attitude constante de disciple a de fâcheux pour un initiateur : « Très visiblement, dit-il, Castagnary a beaucoup étudié Diderot ; mais il avait à un trop haut degré le sens et le goût des choses littéraires pour ne pas savoir que le grand encyclopédiste était un écrivain inimitable, et, certainement, il ne s’est jamais proposé de l’imiter. » Non, malheureusement, Diderot n’est pas inimitable ; il est difficile à égaler, mais il est peu d’écrivains dont l’imitation soit plus facile. Pour qui le prend comme modèle dans la critique d’art, en lui empruntant sa façon de dire, on lui emprunte aussi sa façon de penser. Voici les procédés extérieurs et jusqu’aux tics du maître. D’abord, l’apostrophe ; ainsi à M. Français, qui, décidément, exerce à ce point de vue une attraction singulière sur