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M. Gladstone qui, de son côté, avait à répondre aux pressantes interpellations de M. Balfour, n’a pu que reconnaître la parfaite modération de M. Develle. M. Gladstone, pour faire face à tout, pour ménager le sentiment anglais, se trouvait sur un terrain difficile. Il s’en est tiré par un art supérieur de tacticien, d’orateur fertile en euphémismes, et sans décliner la responsabilité des derniers actes du protectorat au Caire, en revendiquant au contraire pour l’Angleterre la mission de maintenir l’ordre en Égypte, il ne s’est pas refusé à des négociations nouvelles. Il est certain que tout ceci reste assez obscur. Dans le secret de sa pensée, M. Gladstone ne serait peut-être pas éloigné de désirer en finir avec une occupation qui peut devenir une source de complications ; mais à côté de lui, dans son cabinet, il y a lord Rosebery qui paraît se faire le continuateur zélé des conservateurs en Égypte, comme dans la plupart des questions extérieures, et à côté de lord Rosebery, il y a le chef même des conservateurs, lord Salisbury, qui, en prodiguant ses éloges compromettans aux derniers actes du ministère libéral, affecte maintenant des prétentions plus hautes. Si lord Salisbury, dans le discours au moins singulier qu’il a prononcé à la chambre des lords, ne va pas jusqu’à préconiser l’annexion pure et simple de la vice-royauté du Nil, il n’en est pas loin. Il ne craint pas d’épiloguer sur des engagemens qui lieraient l’Angleterre, qu’il a plus d’une fois confirmés lui-même, en prétendant que les circonstances ont changé, que les engagemens ont changé avec les circonstances. En d’autres termes, lord Salisbury prend une position nouvelle et laisse entrevoir l’arrière-pensée de la politique « impériale » sur l’Égypte.

Que faut-il conclure de ces derniers débats du parlement anglais où les aveux se mêlent aux réticences calculées ? Il est clair que par ses ambitions l’Angleterre se sent portée à transformer par degrés ce qui n’a été jusqu’ici qu’une occupation temporaire, conditionnelle, en conquête définitive. Elle compte sur le temps, sur les occasions, sur l’imprévu pour faire d’une position contestée, un établissement permanent, pour compléter par cette opulente station sur la route des Indes ses postes de sûreté dans la Méditerranée. D’un autre côté, par un reste de scrupule, elle se sent liée : elle ne peut se dérober aux obligations qu’elle a acceptées ; elle se borne à les interpréter, à les éluder, en répétant périodiquement que « rien n’est changé dans sa politique. » Il faudra bien cependant en venir un jour ou l’autre à quelque explication plus décisive sur une situation qui ne peut se prolonger indéfiniment sans péril pour la paix de l’Orient et de l’Occident.

La vie parlementaire, qui s’étend presque partout aujourd’hui, a bien des aspects. L’essence est sans doute partout la même. La forme varie avec les peuples, avec leur génie, leurs mœurs et leurs traditions. Un