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une expédition de 8,000 kilomètres, à travers les États militaires du Haoussa et le grand désert infesté par les pillards. Jusqu’à Waghadougou, la capitale du Mossi, Monteil put s’aider des itinéraires de Binger et du docteur Crozal, le courageux pionnier qui vient de succomber en poursuivant ses études sur cette région. Au-delà de Waghadougou, l’explorateur plongeait dans l’inconnu ; les ténèbres africaines firent sur lui leur lourd silence. Nous perdîmes sa trace : les mois passèrent, puis une année révolue, il ne nous arrivait que de mauvais bruits vagues. Ses camarades du Sénégal le tenaient pour irrévocablement disparu ; l’un d’eux, qui sollicitait ardemment l’honneur de recommencer l’entreprise, me disait, à la fin de 1891, que la fin tragique de Monteil ne faisait plus question. Les plus robustes espérances avaient fléchi, quand, le 23 mai 1892, à l’issue d’un banquet où les membres du Comité de l’Afrique française s’étaient réunis pour saluer le seul survivant de la mission Crampel, deux dépêches nous furent communiquées coup sur coup : Mizon est à Yola ! — Monteil est à Kano ! Ainsi, en ce jour qui marquera une date dans l’histoire de l’expansion africaine, la France apprenait simultanément les deux succès qui se complètent l’un l’autre, les deux grands exploits de la pénétration pacifique durant ces dernières années. — La réapparition de Monteil était signalée à Tripoli par des lettres du Sokoto, qui montraient notre envoyé plein de confiance, en route pour le Tchad.

Il avait peiné longtemps dans la partie orientale de la boucle du Niger, assailli par tous les genres de misère, perdant ses bêtes de somme, mal reçu par les chefs des petits États qui se partagent cette contrée. Il avait louvoyé entre eux pendant huit mois, bien décidé à ne pas rétrograder ; le 19 août 1891, il rejoignait enfin le grand fleuve à ce point de Say, escale des caravanes entre Tombouctou et le Soudan central, objectif désigné à nos entreprises de navigation sur le Niger. Un premier et considérable résultat était acquis : la traversée complète de la boucle, qui n’avait jamais été essayée, devenait un problème résolu. Restait à forcer l’entrée des royaumes haoussa, sur la rive gauche du Niger. Le capitaine passa le fleuve, profond et large dans cette partie de son cours. Il nous dit qu’il s’attarda involontairement sur la rive, avant de perdre de vue ces eaux ; là-haut, bien loin, à plusieurs centaines de kilomètres en amont, elles avaient reflété les couleurs françaises.

L’ancien empire de Sokoto, conquis par les Foulbé musulmans sur les indigènes haoussa, est aujourd’hui disloqué, morcelé entre des princes féodaux à peu près indépendans du cheik Abd-er-Rahman-ben-Aliou ; néanmoins celui-ci porte encore le titre pompeux d’Émir-al-Moumenim, Commandeur des croyans. Quelques