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l’Europe apportèrent les tributs au savant dont nous acclamions la royauté ; ce jour-là, le génie français s’appelait science et travail, il s’appelait Pasteur. — Elles n’étaient pas moins contentes, elles avaient des visions égales à leurs songes accoutumés, l’autre jour, quand Monteil évoquait à leurs pieds, devant une foule enthousiaste, les perspectives du monde inconnu qu’il venait de parcourir ; cette fois, le génie français s’appelait audace, découverte, communication universelle. Je n’ajouterai pas qu’il prenait le nom du vaillant officier : Monteil serait le premier à me redresser. Cette forme de notre génie s’incarne dans toute une légion de combattans et de missionnaires pacifiques : ils ont accompli en quelques années une tâche qui nous reporte aux grands aventuriers castillans ; car il faut remontera l’invention de l’Amérique pour trouver le précédent et la juste mesure des prodiges réalisés par nos explorateurs africains.

Oui, elles écoutaient le voyageur, les nobles figures qui méditent sur le mur de la Sorbonne ; et comme Desdémone auprès du More, elles semblaient s’animer au récit des lointaines merveilles, s’intéresser à celui qui avait couru tant de dangers. Tandis qu’il parlait, leur tranquille horizon de bois et de prairies s’agrandissait, s’ouvrait sur les pays fabuleux où passait la petite caravane ; royaumes du Soudan, larges fleuves qui descendent aux mers équatoriales, villes aux maisons d’argile, foules bariolées, eaux vierges du lac Tchad, sables et roches du grand désert, monotone région de la souffrance, mais aussi du triomphe de l’énergie. Tous les cœurs la suivaient anxieux, la petite caravane, parce qu’on voyait, derrière elle, l’ombre de la patrie s’allonger sur des terres qui la veille encore ignoraient notre nom.

Il y aura des gens, je m’y attends bien, qui taxeront ce langage d’hyperbole. Ils n’admettront pas que les mots tressaillent quand ils ont à dire des actions extraordinaires. Les ignorans d’abord, qui confondent les contrées magnifiques d’où Monteil arrive avec les parties sauvages de l’Afrique. Quelques lieues de déserts malsains, quelques nègres de plus, dira-t-on, la belle affaire ! On nous a dressés au dénigrement, au mépris de tout ce qui ne rapporte pas sur l’heure un avantage positif. Et notre monde est plein de sages qui prêchent la défiance contre tous les entraînemens. Ils ne sont pas pour étonner Monteil ; il a vu souvent leurs congénères, préposés à la surveillance des harems musulmans. Qu’importent ces résistances chagrines ? Notre peuple, avec son instinct infaillible, ne se trompe pas sur la valeur des services qu’on lui rend. Parmi ces milliers d’auditeurs qui applaudissaient l’officier, bien peu, sans doute, connaissaient exactement le détail