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la puissance défiait alors toute comparaison ? Il est difficile de le dire et peu nous importe. Ce que nous tenions à démontrer, c’est que l’Égypte des dynasties thébaines et les tribus éparses soit dans les îles, soit sur les côtes de la mer Egée, ne formaient pas deux mondes séparés.

Ces tribus inquiètes de la région égéenne se prêtaient, lorsque l’Égypte était forte, à s’incliner devant sa suprématie ; mais, dès qu’elles la voyaient menacée par ses ennemis du dehors ou ébranlée par des discordes intestines, elles épiaient, elles saisissaient l’occasion de se ruer sur cette riche proie. C’est ainsi que, vers le milieu du XIVe siècle, plusieurs d’entre elles se joignirent à la ligue qui s’était formée contre Ramsès II. Les Dardana, les Iliouna, les Masa, les Pédasa et les Léka, c’est-à-dire les Dardaniens, les Iliens, les Mysiens, les Pédasiens et les Lyciens des auteurs classiques figurent dans la liste des auxiliaires du roi des Khétas, parmi ceux qui livrent, autour de Kadech, ces batailles que représentent les bas-reliefs des pylônes de Louqsor et de Karnak. L’antiquité signale l’humeur aventureuse des Pélasges ou Tyrsènes, « la plus vagabonde des races, » dit Hérodote ; or la conformité des habitudes et la ressemblance du nom ne sont-elles pas assez frappantes pour que l’on identifie les Tyrsènes avec ces Toursha qui, sous Ramsès II, s’allient aux Libyens pour attaquer l’Égypte ? Peut-on hésiter à reconnaître les Achéens dans les Aquaïousha qui, la cinquième année du règne de Méneptah Ier, cherchent à forcer la frontière occidentale de l’Égypte, mêlés à des bandes de Toursha, de Léka, de Shardana et de Sakalousha ?

On croit retrouver comme un souvenir de ces incursions dans le récit qu’Ulysse fait à Eumée, au quatorzième chant de l’Odyssée. Le héros s’y donne comme un Crétois qui est allé, avec une troupe de forbans, entreprendre une descente en Égypte. Cinq jours ont suffi pour atteindre le rivage africain, et les neuf barques se sont cachées, dans une des bouches du fleuve, parmi les tiges des roseaux. On s’est répandu dans la plaine, on a commencé à dévaliser les maisons, et à entraîner femmes et enfans vers les navires ; mais on s’est trop attardé au pillage ; des renforts sont arrivés de la ville voisine, et les pirates ont été mis en fuite, laissant leur capitaine entre les mains des vainqueurs. Celui-ci a d’ailleurs obtenu la vie sauve et, pendant les sept ans qu’il a passés en Égypte, il a trouvé moyen de s’y enrichir.

Les fouilles faites en Égypte rendent aujourd’hui témoignage du commerce que n’ont pas cessé d’entretenir avec elle, à travers tous ces intermèdes de guerre et de rapine, Pélasges et Achéens. Depuis qu’ont été bien établis les caractères distinctifs des produits