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Contre sept taureaux, il n’y a, dans cet ensemble, que trois hommes ; c’est que l’artiste mycénien ne se sent jamais très à l’aise quand il est aux prises avec la figure humaine. Chez l’homme, le corps est en partie caché sous le vêtement et il offre d’ailleurs des poses moins simples et moins constantes que le corps de l’animal. La représentation qu’en donne cet artiste reste donc toujours fort imparfaite. Le dessin de la tête et des membres est exact ; il a de l’accent ; mais le torse est trop grêle et trop fuselé ; l’amincissement qu’il présente, sur nature, au-dessus des hanches, est beaucoup trop marqué. L’artiste a été frappé de ce rétrécissement du buste, qui coupe par moitié la silhouette de la figure ; il a tenu à montrer qu’il en comprenait l’importance ; mais, encore inexpérimenté, il n’a pas su mesurer son effet.

Là même, malgré ces défauts, on retrouve les qualités que nous avions signalées dans la représentation des animaux. Chez les chasseurs de l’un des poignards et chez ceux des vases de Vafio, chez les acteurs d’une scène de bataille qui décorait un vase d’argent dont il ne reste qu’un petit fragment, comme chez les guerriers dont l’image orne des chatons de bague en or ou des pierres gravées, on sent encore, à travers toutes les altérations de la forme, le même esprit qui se manifeste, le même réalisme intelligent, le même regard vif et curieux jeté sur la nature. Ce qui distingue l’art mycénien, c’est, comme l’a très bien dit un connaisseur délicat, M. Heuzey, « le débordement de la vie et la passion du mouvement. »


III

Dans cet inventaire que nous avons entrepris de dresser des monumens principaux de la période préhomérique, nous avons insisté particulièrement sur ceux de Tirynthe, de Mycènes et d’Amyclées ; c’est qu’ils représentent l’âge adulte de l’art mycénien, le moment où cet art dispose de tous ses moyens d’expression. La préférence que l’historien accorde ainsi à un petit nombre d’ouvrages presque tous originaires d’un étroit district de l’Hellade n’implique nullement que l’aire sur laquelle cette civilisation s’est étendue ait eu pour limites celles du Péloponnèse ou même de la Grèce continentale. Nous ne saurions dire en quel endroit s’est produit le premier éveil des esprits, chez les tribus mères des Grecs ; mais nous n’oublions pas que les produits de leur industrie naissante ont été exhumés aussi bien sur la côte nord-ouest de l’Asie-Mineure que dans les îles de l’Archipel et en Europe ; aussi a-t-on