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Schliemann a recueilli des milliers de ces menus ornemens ; il n’a eu, pour en refaire des colliers, qu’à y passer un brin de soie.

On ne saurait pourtant dire que cette industrie, — on n’oserait prononcer le mot d’art, — ait déjà, tout avancée qu’elle soit à certains égards, un style qui lui appartienne en propre. L’ornement géométrique est ici dans l’enfance ; il n’aboutit pas encore à des partis-pris, à des combinaisons de lignes qui aient leur originalité. La plante, dont les tiges, les feuilles et les fleurs fourniront à l’ornemaniste, chez tous les peuples, un répertoire si varié de motifs charmans, on ne semble pas même, ici, l’avoir regardée. Quant à l’homme et à l’animal, si l’on a eu parfois l’ambition d’en imiter les formes, on ne l’a tenté qu’en les simplifiant au point de les rendre presque méconnaissables. Schliemann, qui s’était juré de retrouver, à Troie, l’Athéné Glaucopis d’Homère, a pu, sans trop d’invraisemblance, voir la face d’une chouette sur ces vases où nous nous refusons à chercher autre chose qu’une interprétation singulièrement naïve des traits du visage de l’homme. Des décombres de la seconde ville, on n’a tiré qu’une seule figure où le corps humain soit représenté presque en entier. C’est une petite statuette de plomb, une femme nue, à longues boucles de cheveux tombant des deux côtés du cou, que ceignent plusieurs rangs de colliers. Les bras sont croisés sur la poitrine. La croix gammée, un symbole très antique, mais dont le sens n’a pas encore été sûrement pénétré, est gravée sur un triangle qui indique les parties sexuelles. C’est ainsi que les religions syriennes représentaient leur déesse mère ; ou la figurine a été importée du dehors, ou plutôt, comme on inclinerait à le croire d’après la grossièreté de l’exécution, c’est un pastiche local d’un type divin alors révéré dans toute l’Asie antérieure.

Les bâtimens dans les ruines desquels ont été faites ces trouvailles paraissent avoir été détruits tous à la fois, par un de ces incendies à qui rien n’échappe, parce que la rage du vainqueur qui l’alluma en attise la flamme. On a rencontré quelques squelettes, celui d’une jeune fille, celui de deux hommes, auprès desquels il y avait des armes, non pas étendus dans des tombes, mais gisant sous des murs écroulés. Il n’y a donc là, dans l’état des lieux, rien qui ne s’accorde avec le souvenir que la poésie avait gardé d’une cité qui, reine de la Troade pendant plusieurs siècles, aurait péri sous les coups d’un ennemi venu d’outre-mer pour la châtier de ses pirateries. Sur ses décombres, au bout d’un certain temps, une nouvelle bourgade se forma, derrière l’abri de l’ancien rempart ; mais elle n’eut jamais l’importance de sa devancière, et ce n’est pas là, dans les restes insignifians de ce qui ne