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des continens. Ce qui suggère cette conclusion, ce n’est pas seulement la présence du cuivre et du jade dans le premier village de Troie ; parmi les débris de la bourgade plus importante qui lui a succédé, nous trouverons les métaux précieux, l’or et l’argent, que ne produit pas la Troade, l’ambre de la Baltique, l’ivoire qui ne peut venir que de l’Inde ou, par l’Egypte, du Soudan africain, et enfin le bronze, dans lequel l’étain s’allie au cuivre, l’étain que les anciens n’ont guère pu tirer que des profondeurs reculées de la Haute-Asie, avant que les Phéniciens fussent allés exploiter les mines de l’Espagne et des Iles britanniques.

Pendant un temps que l’on n’a aucun moyen d’évaluer, la vie s’interrompit sur cette colline ; cinquante centimètres de terre vierge recouvraient les restes que nous avons décrits. Au-dessus, à l’aide de remblais dont l’épaisseur varie, suivant la pente que présentait le terrain, de trois à cinq mètres, de nouveaux habitans sont venus dresser une esplanade qu’ils ont entourée d’un puissant rempart, et celui-ci, deux fois élargi, a fini par embrasser une aire d’environ 11,000 mètres carrés. Ce rempart est formé d’un soubassement, incliné en talus sous un angle de 45 degrés, que couronnait un mur vertical, dont il ne subsiste que les assises inférieures. Le soubassement est en blocs de tut calcaire. Le mur est fait de grandes briques crues. De longues poutres y constituaient un chaînage par lequel on avait cru rendre la construction plus solide. Une galerie de bois devait surmonter cette haute muraille ; c’est par elle surtout que se sera propagé l’incendie qui semble avoir tout dévoré dans cette forteresse. La flamme a pénétré jusque dans l’intérieur du rempart de terre ; la place des poutres qui s’y entre-croisaient est aujourd’hui représentée par des vides où ma main, quand je l’y ai plongée, a remué des cendres et des charbons. Tout autour de ces trous, l’argile est vitrifiée par le feu, et, au-delà, jusqu’à une certaine distance, noircie par la fumée.

En même temps que l’enceinte, les portes qui y étaient ménagées ont subi des remaniemens. La plus ancienne était un long couloir en pente par lequel on s’élevait de la plaine à l’esplanade du château ; ce couloir était percé dans un épais massif de maçonnerie, dans une tour énorme qui faisait une forte saillie sur la courtine. Des deux côtés de ce corridor, on a retrouvé l’empreinte et les débris carbonisés de madriers qui supportaient un plafond. Il y avait ainsi, au-dessus de la tour, une large plate-forme, dont une partie recouvrait le passage montant. On n’a pas pu ne pas se rappeler à ce propos le vers de l’Iliade qui montre les vieillards troyens assis sur les portes scées, où Hélène vient les retrouver,