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continuité. Tout ce qu’il y a dans ces personnages et dans leurs aventures de substance historique, le poète l’a emprunté aux traditions qui conservaient, chez leurs descendans, la mémoire de ces princes de Tirynthe et de Mycènes, d’Amyclées, de Cnosse, d’Orchomène et d’Iolcos dont nous déterrons aujourd’hui les palais et les tombes. Ces princes et leurs sujets étaient déjà des Grecs ; ils parlaient le grec, un grec dont nous ne connaîtrons jamais les particularités dialectales et que les plus habiles hellénistes auraient peut-être, au premier moment, quelque peine à comprendre.

L’épopée a donc ses racines dans une poésie populaire très ancienne, qui fut importée d’Europe en Asie quand, chassés de leurs demeures par l’invasion dorienne, les Éoliens et les Ioniens, conduits par les fils des grandes familles achéennes, refluèrent vers les rivages orientaux de la mer Egée. On s’explique ainsi que les héros de ces poèmes appartiennent tous à la Grèce européenne et aux îles qui en dépendent, telles qu’Égine et Ithaque, Salamine et la Crète. On comprend aussi, quand on fait remonter jusqu’à la Grèce mycénienne les origines du chant épique, que l’Iliade et l’Odyssée puissent renfermer des élémens de date très différente, ce qu’il importe de ne pas oublier quand on cherche à trouver dans les poèmes homériques des indications qui jettent quelque jour sur l’état et les habitudes des sociétés antérieures. Pour ne prendre ici qu’un exemple, la maison et ses dispositions principales, on rencontrera dans Homère, sur ce sujet, tout à la fois des données qui se rapportent aux types que nous ont fait connaître les fouilles de Tirynthe ou de Mycènes et d’autres qui s’en écartent sensiblement ; les premières appartiendraient au plus ancien fonds de cette poésie, à ce que les grands poètes du Xe ou du IXe siècle ont gardé des matériaux qu’ils ont mis en œuvre.


II

Si c’est sur le territoire de la Grèce européenne et particulièrement en Argolide que la civilisation préhomérique paraît s’être élevée au plus haut degré de richesse et d’habileté technique, ce n’est point là que les monumens permettent de remonter le plus haut dans ce passé. Sans doute on a ramassé, sur le sol de la Grèce, des outils de pierre, haches, couteaux et flèches, qui nous reportent à ce que l’on nomme en Occident l’époque néolithique et qui éveillent l’idée d’une vie analogue à celle des peuplades que nous appelons les sauvages ; mais ces instrumens ne se sont pas