Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rapport aux autres motifs contenus dans le dessin. Prenez une photographie et l’erreur sera rectifiée.

Au point de vue des besognes mécaniques de l’art, la photographie rend donc chaque chose plus facile, notamment l’exécution des grandes compositions, par exemple des panoramas. Combien cet art n’a-t-il pas progressé depuis le jour où le colonel Langlois, envoyé en Crimée, put employer la photographie pour la levée des plans de Sébastopol ! Récemment MM. de Neuville et Détaille lui ont dû d’établir très exactement et très rapidement sur leur toile le paysage qu’ils avaient choisi dans la nature. Après avoir déterminé le point d’où la vue serait prise, point qui doit correspondre à la plateforme du panorama, ces artistes ont levé la photographie de toutes les parties de l’horizon ; ils les ont rajustées ensuite. Sur cette reproduction, ils ont exécuté l’esquisse aussi poussée que possible afin qu’il n’y eût plus qu’à la transporter sur la toile. Pour reporter le paysage tel que la photographie le leur avait donné, ils se sont servis de projections photo-lumineuses. Divisant la toile et la photographie en dix sections, ils ont pu projeter chacune des parties photographiées sur la partie de la toile correspondante et tracer au fusain les lignes dessinées en grand par la lanterne lumineuse. Depuis MM. de Neuville et Détaille, les procédés ont progressé. Aujourd’hui, à l’aide de l’appareil tournant de photographie panoramique, il est facile de prendre d’un seul coup l’image circulaire de tout ce qu’on voit autour de soi, c’est-à-dire d’exécuter immédiatement un vrai panorama qui pourra être reporté tel quel, sans raccords, sur la toile[1].

Ces documens ne sont pas les seuls que nous procure la photographie. Elle nous a révélé les pays lointains, les plages inconnues. Qui de nous ignore maintenant comment est bâtie Bénarès, quel costume portent les moines de l’Athos ? qui ne peut se promener en imagination le long des bords du Gange tout plein de baigneurs dévots ou rêver un beau soir sous un torii, près de Tokio, sur la rive de la Soumida-Gava, en regardant à l’horizon le Fusi-Yama s’éclairer des dernières lueurs du jour ? Autrefois, les peintres s’attachaient, en fait de couleur locale, à une sorte de convention facile et banale, où l’on ne pouvait guère contrôler leur érudition. « A beau mentir qui vient de loin » était un proverbe très applicable aux tableaux d’Orient dont on encombrait les Salons.

  1. Il serait trop long d’énumérer ici tous les services que rend la photographie dans les ateliers. Bornons-nous à dire qu’elle sert souvent à contrôler l’exactitude des copies des tableaux de maîtres. Ainsi les premières photographies qu’on a faites du Jugement dernier, de Michel-Ange, ont révélé, jusque dans les meilleures gravures, des inexactitudes assez notables.