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en rapport avec celles de son locataire. S’il faut en juger d’après les mesures actuelles du cercueil, la taille du prophète Daniel serait ou du moins aurait été, lors de notre dernière visite, en 1891, d’environ vingt-quatre mètres : il doit avoir maintenant un peu plus. Il est à remarquer que la croissance du saint ne s’exerce qu’en longueur et n’a pas lieu en largeur. Le développement de sa carrure n’est pas en proportion avec celui de sa taille.

Il existe dans d’autres parties de l’Islam d’autres tombeaux du prophète Daniel : l’un des plus célèbres entre autres est au Caire. Ce fait en lui-même ne doit pas nous étonner : les musulmans admettent sans difficulté le dédoublement ou même la multiplication indéfinie des corps des saints personnages, sans que leur vénération pour chacune des dépouilles en soit diminuée.

Ce qui est assez intéressant à noter, c’est la nature des qualifications honorifiques que l’on accorde au même saint selon les divers pays où il est vénéré. Ainsi, par exemple, ce même Daniel porte, au Caire, le nom de Nebbi-Danial, c’est-à-dire qu’on lui accorde le titre de prophète, comme étant à la fois celui qui convient le mieux à sa condition et le plus honorifique qu’on lui puisse déférer. En Algérie ou au Maroc, pays féodaux, le titre qu’on donne aux saints est celui de Sidi, qui signifie seigneur, et que prennent également les chefs militaires et politiques. En Asie centrale, on donne aux plus respectés d’entre les personnages canonisés, comme peut l’être le prophète Daniel, le titre de Khodja, ce qui veut dire tout simplement, en arabe, écrivain ou lettré. Dans les pays barbaresques, ce titre ne ferait qu’un honneur médiocre à celui qui en serait revêtu. N’y a-t-il pas là un indice caractéristique ? Ne pressent-on pas dans la formule mongole le voisinage de la Chine, terre classique du mandarinat, où la littérature est la base d’une organisation sociale ?

Non loin du tombeau de Daniel se trouve celui de Hazret-Khizr, patron des bergers, des voyageurs, mais aussi des voleurs, ce qui semble difficilement compatible, et ce qui doit, dans tous les cas, dégager singulièrement la responsabilité du saint, quoi qu’il puisse arriver en route à ceux qui se placent sous sa protection.

Tout près de là également s’ouvrent des grottes plus ou moins obstruées et qui font, prétend la tradition, partie des substructions de l’ancienne ville d’Afrousiab ou Afrasiab, dont le nom s’applique encore aujourd’hui à toute cette colline. Ce nom d’Afrasiab était, selon les historiens persans, celui d’un roi du Turkestan, dont ils placent le règne au XIe siècle avant notre ère, et qui aurait accueilli à sa cour Siavech, fils du roi de Perse Kaïkaus, qu’il peut y avoir lieu d’identifier à l’un des derniers rois modes prédécesseurs de Cyrus.