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d’ornementation vraiment inouïe. À l’extrémité de cette même allée, on pénètre dans la dernière mosquée, spécialement consacrée au culte du saint sous le patronage duquel est placé tout le groupe de ces monumens, et qui leur a donné son nom. Cette dernière mosquée est formée de plusieurs salles : dans la plus reculée, où se trouvent des mollahs toujours en prière, ou qui du moins ne se détournent de leur prière que pour faire un appel aussi pressant que majestueux à la générosité des visiteurs, on voit plusieurs objets remarquables : c’est là qu’est conservé le grand Coran, dont les pages colossales n’ont pas moins de trois mètres de côté ; c’est ce livre qui, les jours de tête, est déposé en grande pompe sur le pupitre de marbre dont nous avons parlé en décrivant la Biby-Khaneh. Cet exemplaire n’est d’ailleurs, parait-il, qu’une copie faite au XVIe siècle pour ménager l’original, beaucoup plus ancien. Celui-ci a été, dit-on, transporté à Pétersbourg, par les Russes, lors de l’occupation de la ville.

Dans un angle de la même chapelle, s’ouvre l’orifice d’un puits obscur que ferme une grille scellée. Là repose le corps du saint. On sait peu de chose touchant ce personnage ; à Samarkande, les gens les plus familiers avec son histoire ignorent son nom véritable et ne le connaissent que par son surnom ou son titre de Chah-Zindeh, ce qui veut dire le roi vivant. L’origine de cette qualification est généralement expliquée aujourd’hui, par les mollahs chargés de la garde du tombeau, de la façon suivante : ce saint, qui fut un roi, dont le règne incertain remonte aux premiers temps de l’Islam, obtint d’Allah, en récompense de ses vertus, une faveur insigne, celle de toujours rester vivant, même après sa mort. Ne demandez pas d’explication sur ce dogme physiologique tout particulier et peut-être obscur. Vous n’en obtiendriez aucune, pas plus que je n’ai pu en obtenir moi-même, et vous ne feriez que vous attirer le profond mépris des indigènes pour votre inaptitude à comprendre un mystère aussi simple. Ce souverain fut donc, après une longue existence remplie de vertus et d’honneurs, probablement lorsqu’il fut fatigué des uns et des autres, descendu au fond du puits noir où son corps repose encore aujourd’hui dans l’état de béatitude spéciale qui vient d’être indiqué. Le domicile est peu récréatif pour être habité pendant tant de siècles ; mais son hôte a la consolation d’être assuré d’y rester vivant jusqu’à la guerre sainte qu’il attend, et où il jouera son rôle dans le triomphe final des croyans.

Tamerlan, à qui ce point de dogme parut sans doute peu clair, éprouva, dit une tradition qui, cette fois, est historique, le besoin de l’élucider. Il ne se contenta pas de l’explication donnée par les