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chinois, du fatalisme le plus aveugle et de la prévoyance la plus méthodique, est fort complexe. Il n’y a d’accord complet que sur un point : le mépris profond de cette vie humaine que notre civilisation européenne d’aujourd’hui, à force de vouloir l’entourer de garanties, a fini par estimer à un prix monstrueusement exagéré, manière de voir qui fera un jour notre faiblesse et nous livrera peut-être sans défense à des peuples barbares plus faibles que nous, mais faisant la guerre tout de bon et jouant franc jeu.

Ainsi les civilisations les plus dissemblables, partant des principes les plus opposés, les plus vieilles comme les plus jeunes, s’accordent toutes, en dehors de l’Europe chrétienne, dans ce mépris de la vie et de la mort, qui est encore une force pour elles, d’autant plus que nous en perdons, chez nous, non-seulement la pratique, mais jusqu’à la notion. Ce sentiment, permanent dans les civilisations d’Orient, y a fait la grandeur des empires et des croyances. Peut-être son existence intermittente a-t-elle joué le même rôle chez nous. Quand on constate ce fait et quand on voit à quelles conséquences, au point de vue social aussi bien qu’au point de vue individuel, nous entraînent la doctrine contraire et l’excessif respect des existences humaines, on en vient à se demander si nous avons raison d’appeler barbares les peuples qui ont sur ce point des principes différens des nôtres, et si ce n’est pas nous-mêmes qui mériterions d’être taxés, sinon de barbarie, du moins de faiblesse et du genre de travers que, bien improprement dans ce cas, nous appelons chinoiserie.


III. — BIBY-KHANEH.

Si le Reghistan est, comme nous l’avons dit, le centre du groupe monumental le plus important de Samarkande, les curiosités architecturales de la ville ne sont pas limitées à cet endroit. Entre tous les monumens de cette cité qui compte tant de ruines illustres, le plus imposant, le plus grandiose et en même temps celui dont les proportions ont le plus d’harmonie, dans leur simplicité majestueuse, c’est à coup sûr la mosquée que l’on nomme Biby-Khaneh, la Maison de Biby. Ce nom est celui de l’épouse favorite de Tamerlan, la reine Biby on Biby-Hanoum, dont ce monument est l’œuvre. Situé vers l’extrémité, nord de la ville, où il domine la place du grand marché aux grains, aux laines et aux bestiaux, ce monument se compose d’un dôme central aux proportions puissantes et harmonieuses, sur la façade duquel est appliqué un énorme portique ogival, flanqué de deux hautes tours octogones. En avant de ce bâtiment principal et à la distance d’une centaine de pas, se trouve un autre portique ou arc de triomphe encore