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souvent de peau de mouton, plus petits que ceux des Turcomans. Les Kirghiz, n’ayant que des campemens mobiles, ne sont dans la ville que des hôtes de passage. Ils s’y pressent cependant en grand nombre, surtout les jours de marché, et n’y descendent guère de leurs chevaux. Ils ont le type mongol bien caractérisé. Chez les Sartes de Samarkande, au contraire, le sang iranien domine. Pourtant, à la suite des conquêtes répétées qui se sont succédé depuis des siècles, il s’est fort mélangé de sang uzbeg, et, si le costume sarte est toujours caractéristique à première vue, le type de la race est ici très variable et essentiellement mixte.

C’est sur cette magnifique place du Reghistan, sur ce Forum tartare, au milieu de ces ruines grandioses et pittoresques, que se tient encore aujourd’hui le marché quotidien. C’est là, devant les médressés aussi bien qu’à l’intérieur de ceux-ci, que se font les prières publiques. C’est là aussi qu’affluent les jongleurs, les faiseurs de tours et les montreurs de spectacles divers, dont les habitans de Samarkande sont fort curieux. Les équilibristes de l’Asie centrale et ses danseurs de corde sont célèbres en Orient ; ils rivalisent avec leurs émules de l’Inde et de la Chine, dont la réputation a pénétré jusqu’en Occident et dont quelques représentans sont, dans ces dernières années, venus donner aux Parisiens eux-mêmes une idée de leur art. Les bateleurs du Turkestan procèdent en général ainsi : tandis que l’un d’eux danse sur la corde, un autre, coiffé jusqu’à la ceinture d’un masque simulant la tête de quelque animal fantastique, et le reste du corps habillé d’un confus accoutrement composé de guenilles informes et symboliques, exécute une sorte de parade rythmée. Ce genre de pantomime, dont le mouvement est très lent et qui dure fort longtemps, rappelle de loin certains spectacles chinois ou annamites que les expositions universelles ont fait connaître chez nous. Il est fréquent aussi de voir, sur le Reghistan, des dresseurs de chèvres savantes, dont l’agilité et l’adresse n’ont rien à envier à celles des saltimbanques à deux pieds et qui pourraient rivaliser avec la compagne d’Esmeralda. Ces animaux grimpent et se tiennent en équilibre, avec une gravité parfaite, au sommet d’une pile de bobines posées les unes sur les autres de la façon la plus instable, ou bien sur des perches dont l’équilibre savant est lui-même extrêmement problématique et compliqué.

Sur le Reghistan encore sont installés des cuisiniers en plein vent, des marchands vendant les comestibles les plus hétéroclites, et des loueurs de pipes dont l’industrie, si elle peut paraître bizarre à première vue et si elle est localisée en Asie centrale, répond pourtant à trois besoins bien universels de la nature humaine : la vanité, dans le double sens d’amour des grandeurs et