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entre les deux villes l’éclatante lumière orientale, la fantaisie architecturale, si vivement colorée et si énorme en même temps, qui caractérise les monumens des anciens, pays du soleil, la vieille Asie comme l’antique Égypte, et enfin ce mélange intime et perpétuel d’histoire et de légende, de réalité et de féerie, que l’on retrouve constamment dans tout ce qui touche à l’Orient.

L’histoire de notre petite Europe n’a pas le même caractère. Les faits, plus ou moins solidement charpentés et motivés, y sont bien distincts des rêves. Ils se présentent presque toujours à nous accompagnés d’un cortège plus ou moins pesant de documens qui les justifient, les rendent corrects en quelque sorte, et en font pour ainsi dire partie intégrante à nos yeux. Tout y est plus ou moins prévu : les effets sont proportionnés, dans une certaine mesure du moins, aux causes qui les ont fait naître. Le produit artificiel et privilégié auquel nous donnons le nom d’homme civilisé, placé chez nous dans un cadre à sa taille, dans un univers borné, est aussi peu que possible, en sa vie automatique, le jouet des événemens, ou du moins ce n’est plus guère que dans les romans de M. Zola qu’il en est l’instrument inerte, fatal et impuissant. Tout au moins est-il incontestable que les individualités tiennent dans notre société occidentale une certaine place ; les personnalités des souverains, leurs idées ou leur mode d’administration peuvent avoir une action décisive sur la marche de leurs siècles.

En Orient, au contraire, où l’homme se meut dans un cadre trop grand pour lui, les potentats les plus puissans, les talens les plus personnels ne figurent dans l’histoire que comme les jouets d’une sorte de fatalité puissante et irrésistible, entraînant les peuples dans un tourbillon, où sont emportés les hommes comme des atomes plus ou moins chamarrés. Parfois le remous de ce tourbillon s’est fait sentir jusque sur l’Europe et il a suffi pour y faire crouler des empires.

Les trois invasions hunniques, dont la première poussait devant elle les Barbares qui ont submergé l’empire romain, et, au moyen âge, les deux invasions turques et l’invasion mongole dont les flots sont parvenus jusqu’aux murs de Vienne, n’étaient que les échos de ces révolutions asiatiques.

Aujourd’hui, le voyageur qui vient d’Europe peut arriver à Samarkande, comme chacun le sait, même à Paris, par le chemin de fer transcaspien, que la main-d’œuvre militaire des Russes a poussé avec tant de hardiesse et d’activité, étape par étape, à travers les déserts turcomans, et qui, depuis six ans aujourd’hui, a atteint la capitale de Tamerlan.

C’est par cette voie que nous y sommes venu nous-même pour