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n’y a plus de place pour de nouveaux spéculateurs. Le propriétaire ne laisse à l’exploitant que la stricte rémunération de son travail et l’intérêt des capitaux qu’il engage dans la faisance-valoir.

Calculée en blé, la part du propriétaire ressort, de 1601 à 1650, à 87 litres par hectare, en moyenne, et, de 1651 à 1700, à 113 litres. Elle ne hausse donc pas sensiblement au XVIIe siècle, et elle s’abaisse dans la première moitié du XVIIIe jusqu’à 96 litres. Il est vrai que, de 1750 à 1800, elle monte à 166 litres, c’est-à-dire à la plus haute quotité que nous ayons constatée depuis la fin du XIIIe siècle. À l’heure actuelle, en 1892, si nous fixons à 50 francs seulement, impôt déduit, le revenu moyen d’un hectare labourable, et à 20 francs le prix d’un hectolitre de blé, elle représente 250 litres de cette céréale. Le fermage, exprimé en grains, est donc plus du double de ce qu’il a été pendant les siècles précédens.

Les agronomes les plus compétens pensent qu’aujourd’hui le fermier ne retire pas de son capital plus de 7 ou 8 pour 100, et qu’il prélève rarement, soit comme intérêt, soit comme profit, une somme supérieure à la moitié du loyer. Or on vient de voir que bien souvent jadis la part du fermier était le double au moins de celle du propriétaire. C’était le cas, dans les environs de Vervins où le fermage varie de 80 litres en 1652 à 130 litres après la paix des Pyrénées ; le cas aussi en Champagne, dans l’Aube, où les terres à froment se louaient alors moins d’un hectolitre à l’hectare. En 1746, d’après Dupré de Saint-Maur, une terre capable de rapporter 15 hectolitres à l’hectare était louée pour 150 litres de froment. L’hectare de terre labourable, près de Meaux, en 1763, est affermé pour 200 litres de froment et 200 litres d’avoine ; en 1493, le même hectare n’était affermé que pour 150 litres de froment en tout. Admettons que la terre fut mieux cultivée à la fin du XVIIIe siècle qu’elle ne l’était à la fin du XVe, il n’en reste pas moins certain que le fermage, la part du maître, a augmenté d’une manière positive.


V

De quelque côté que l’on se tourne, on s’aperçoit que, de nos jours, la propriété est devenue plus exigeante et l’exploitation moins profitable. L’une a gagné, l’autre a perdu. Il y a deux personnes dans tout fermier : un ouvrier agricole et un commerçant. Comme ouvrier, le fermier jouit des avantages qu’a obtenus, depuis cinquante ans, la classe des travailleurs ; comme capitaliste, il a souffert de la baisse générale du taux de l’intérêt, et de la baisse spéciale qui sévit plus fortement dans les branches d’industrie où le besoin de capitaux se fait le moins sentir ; ce qui, on