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rurales, la justice voit échouer toutes ses enquêtes. De 1679 à 1747, six édits lurent promulgués contre le « droit de marché, » tous plus sévères les uns que les autres, et ne firent qu’augmenter le mal ; si toutefois cet état de choses, très favorable aux laboureurs, peut être traité de mauvais, pour ce motif qu’il rendait dans trois bailliages la propriété fictive, et qu’il permettait aux fermiers de se maintenir malgré les maîtres.

Sur la frontière de l’Est, le Luxembourg avait ses Schilling-Güter, la Prusse rhénane ses Schafft et Vogtegüter, biens affermés à titre à peu près perpétuel ; l’Alsace avait les Waldrecht. Ici le preneur transmet le bien loué à ses héritiers directs, mais il ne peut ni le céder, ni le vendre.

L’emphytéose, que l’on trouvait en usage dans nos différentes provinces, ressemblait fort à ces divers systèmes ; elle s’en séparait par la durée, le plus souvent limitée à un siècle. Par l’emphytéose, le propriétaire n’était pas entièrement dépossédé ; tous les quatre-vingt-dix-neuf ans, il fallait un nouveau contrat. Autrement, le bail prenait fin, et le maître du fonds pouvait y rentrer, en indemnisant le fermier de ses débours, comme il le fit fréquemment aux deux derniers siècles. Il arrivait aussi qu’au contraire, dans l’intervalle d’un siècle, le tenancier s’enrichissait, et que le possesseur du fonds s’appauvrissait ; ce dernier vendait, au cours du bail, son droit de rachat à l’usager, qui devenait alors plein propriétaire.

C’est ainsi que disparut peu à peu ce fermage de la première, tout au plus de la seconde époque d’exploitation foncière que les détenteurs du sol trouvaient désormais trop onéreux. Si on le rencontre au XVIIIe siècle, c’est dans les régions pauvres et encore incultes. Là où d’anciennes tenures de ce genre subsistaient, elles avaient suivi, au moins de loin, le mouvement ascensionnel du revenu des terres. Quand l’emphytéose était appliquée encore aux immeubles urbains, c’est qu’il s’agissait de maisons en ruines que les preneurs s’engageaient à remettre en bon état.

Les baux ordinaires, ceux dont les clauses et conditions sont identiques aux nôtres, ont aussi une durée beaucoup plus grande au moyen âge que dans les temps modernes. On fait, jusqu’au XVIIe siècle, des baux à vie, et même des « baux à trois vies, » consentis à trois laboureurs qui héritent les uns des autres, jusqu’au dernier vivant, le droit au bail qu’ils ont signé conjointement. Cet usage est répandu en Champagne ; dans l’Orléanais, on y apporte certaines restrictions : telle location est faite à Châteaudun, en 1490, « pour trois vies et cinquante-neuf ans. » L’hospice de Soissons décide, en 1579, que « les baux ne seront plus à l’avenir que de vingt-sept ans ou au-dessous. » C’était le résultat de la hausse des terres ou de la dépréciation des métaux précieux, peut-être des