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seigneur, déclarent que les chartes produites par ce dernier ne peuvent faire loi, « parce qu’elles contiennent en sa faveur des obligations dures et extraordinaires, sans cause, comme… de ne pouvoir vendre aucuns veaux, poulets ou œufs, sans les avoir au préalable présentés audit seigneur, et de fournir des lits et des draps aux personnes qui lui rendaient visite. » Les « aveux » qui stipulaient ces divers droits dataient, en dernier lieu, de 1353 et de 1566 ; et ce qui révoltait si fort les populations du XVIIe siècle était, en somme, de commune pratique aux temps antérieurs. Les mœurs avaient été d’ailleurs plus fortes que les contrats, puisque les réclamans ajoutaient que, de mémoire d’homme, rien de tout cela n’était observé.

Et cependant, en droit strict, il n’y avait pas alors de prescription qui pût tenir contre un titre positif : le titulaire de la commanderie de Malte, à Bordeaux, en 1680, découvre un beau jour dans son chartrier une donation de 1284 qui lui garantit la possession d’un moulin, dont, la veille, il ignorait l’existence. Il assigne aussitôt le propriétaire de ce moulin : 1° à le lui rendre ; 2° à lui payer toutes les rentes qu’il avait perçues depuis son occupation indue, vieille de deux ou même de quatre siècles. Ce propriétaire de 1680 avait acquis d’un autre et cet autre d’un troisième ; par conséquent, tous les héritiers de ces vendeurs s’appellent successivement en garantie. Le commandeur de Malte gagna sa cause en première instance, puis en appel au parlement de Bordeaux ; mais il n’en avait pas fini pour cela. Longtemps après, le procès durait encore ; le fils de l’intimé l’avait repris à la suite de son père.

Grâce à ce respect de la tradition qui faisait le fonds de la constitution française, les droits féodaux se maintiennent en partie ; et ils dépérissent en partie par l’effet du temps qui les ronge, les déforme, par l’éloignement chaque jour grandissant de la date des donations primitives, qui prennent un aspect extrêmement vague et fabuleux. La terre de Montoison, en Poitou, est à vendre en 1751 ; les Petites affiches font remarquer qu’elle a « dans sa mouvance » 120 fiefs, « dont le revenu d’une année appartient au suzerain, lorsqu’ils tombent dans le partage des filles. »

Ces bribes de chevalerie, ces décors d’une pièce qu’on ne joue plus et dont quelques morceaux restent plantés deci, delà, détonnent assez curieusement au siècle de Voltaire ; comme ce droit des Fillettes, perçu à Châteaudun jusqu’en 1733, par lequel « chaque femme ou fille, ayant enfans hors mariage, doit 5 sols et, s’il y a ajournement en justice, 60 sols tournois. » Ces droits féodaux rapportent déjà bien peu au XVIIe siècle : les habitans de Glange (Corrèze), dans un terrier fait en 1600 par les soins de messire de La Guiche, avouent « être taillables aux quatre cas jusqu’à la somme