Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/780

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans lesquelles l’avocat du suzerain affirmait que la propriété de son client « reposait sur les règles du droit commun, » tandis que l’avocat des habitans soutenait que le seigneur « avait perdu tout droit de propriété sur ces pâtures, » le parlement d’Aix finit par donner gain de cause aux paysans, par un arrêt du 13 août 1789, neuf jours après que les droits féodaux avaient été abolis à Versailles.

De pareils litiges, très fréquens dans les deux derniers siècles, prouvent combien les idées, les mœurs, la notion même du droit de propriété avaient varié depuis le commencement du moyen âge. Et chacune de ces variations tournait au détriment du seigneur. Le mouvement s’opéra chez nous en sens inverse de celui de l’Allemagne, où la condition des paysans était beaucoup plus libre et leurs charges beaucoup moins lourdes, aux XIe et XIIe siècles, qu’elles ne le devinrent d’ordinaire depuis le XVe, au moment où les droits féodaux s’allégeaient et s’effaçaient en France.

Il faut distinguer avec soin, parmi ces droits, la part de fermage que le noble reçoit comme propriétaire, et la part de salaire qu’il touche comme gendarme. Des vassaux offrent en 1290 à leur seigneur un prélèvement de 5 pour 100 sur le pain, le vin et les légumes, à la charge d’entretenir à ses frais les portes et les murailles. Voilà un salaire et voici un fermage : une abbaye vend, en 1565, un domaine pour 1,800 livres, en se réservant une taille annuelle, une rente en grains et la justice sur le fonds. Les droits féodaux demeurèrent un mode, un système de propriété ; on en créa peu ou prou jusqu’à la fin de la monarchie. Toute propriété resta ainsi imprégnée, quoique à faible dose, de féodalisme privé, bien après la destruction du féodalisme politique.


II

En disant que les droits féodaux tendent à disparaître avec les temps modernes, je dois faire exception pour un seul qui, au contraire, est de date récente : le privilège de la chasse.

Bien qu’il ait été parfois présenté comme un vestige du moyen âge, ce droit ne remonte pas au-delà du XVIe siècle. Auparavant la chasse est libre pour tout le monde, ou plutôt, dans certains domaines, elle est obligatoire pour le seigneur ; le « maréchal » de telle abbaye est « tenu de chasser pendant un mois, lorsque les tenanciers le demandent. » Dans les pays pauvres, à population rare, les bêtes féroces, ou simplement sauvages, causeraient les plus fâcheux dégâts si on ne luttait énergiquement contre elles ; la chasse n’y est pas un plaisir, mais un devoir. Pour encourager